Littérature étrangère

Paco Ignacio Taibo II

Le Retour des Tigres de Malaisie

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photo libraire

Chronique de Renaud Junillon

Librairie Lucioles (Vienne)

Le drapeau du Tigre rugissant sur fond rouge flotte au vent. Le fameux pirate libertaire des mers du Sud, Sandokan, et son ami Yañez sont de retour sous la plume de Paco Ignacio Taibo II dans un roman d’aventures aussi tonitruant que respectueux des codes du genre et de l’esprit de son créateur : Emilio Salgari.

 

Hommage aux romans d’aventures où honneur et vengeance s’expriment par le tranchant des lames, pastiche savoureux des feuilletons du xixe siècle où sociétés secrètes et machinations machiavéliques abondent, Le Retour des Tigres de Malaisie est celui du prince malais Sandokan et de son ami le Portugais Yañez de Gomara, pirates nés de l’imagination de l’auteur italien Salgari. Peu connu en France, il s’agit pourtant d’un auteur important de la fin du XIXe qui, bien que n’ayant jamais navigué plus loin que l’Adriatique (ou peut-être à cause de cela justement), s’est rêvé aventurier, pirate, cow-boy et a sillonné en imagination les confins de la terre, des sentiers les plus sauvages aux mers les plus dangereuses. Il transcende ce désir d’ailleurs exotique dans les multiples récits d’aventures qu’il écrit, des feuilletons romanesques en diable mais qui portent une critique sans appel du colonialisme – et de ces méthodes cyniques et guerrières – plutôt rare pour l’époque. Salgari est ainsi le créateur de plusieurs cycles romanesques, dont le plus célèbre, Pirates de Malaisie, met en scène le fameux Sandokan, le Tigre de Bornéo, pirate anti-impérialiste, combattant assoiffé de justice, protecteur du peuple brimé par les colons britanniques, français et hollandais. Un personnage romanesque à placer aux côtés des Trois Mousquetaires ou de Robin des Bois.
Qui, plus justement qu’un auteur comme Paco Ignacio Taibo II, figure tutélaire du néo-polar latino-américain, auteur d’une biographie majeure du Che, romancier à quatre mains en compagnie du sous-commandant Marcos, historien du mouvement ouvrier mexicain et grand lecteur, dans sa jeunesse, des aventures de Sandokan, pouvait se réapproprier, en le réinventant, le roman d’aventures ? Il le fait en convoquant des personnages vieillis – Sandokan et Yañez ont 60 ans – forcés de sortir de leur retraite pour protéger leurs amis d’étranges attaques. Et en les confrontant à une foule de personnages qui hantent notre inconscient littéraire : Friedrich Engels, le professeur Moriarty, Rudyard Kipling, Old Shatterhand, le personnage de Karl May, des sociétés secrètes chinoises… Aux courses poursuites haletantes et aux multiples rixes et autres batailles sanglantes, se répondent, sur un rythme effréné, pièges, trahisons, rebondissements et retournements de situation. L’érudition historique le dispute à l’imagination débridée et à l’humour, les dialogues jouant sans cesse entre réparties truculentes et clichés du genre. Mais chez Paco Ignacio Taibo II, l’aventure est aussi politique. Elle s’exprime ici sous la forme d’une critique du capitalisme et des politiques coloniales encore à l’œuvre aujourd’hui. Les Tigres de Malaisie se battent pour la liberté et le droit des peuples face à la toute-puissance des empires européens qui pillent, confisquent, souillent terres et richesses en soumettant les populations autochtones. Pourtant, jusqu’à quel point Sandokan, le tigre malais vieillissant, peut-il demeurer indompté ? Qu’importe ! nous dit Paco Ignacio Taibo II, car, si on peut tuer un homme, un mythe, quant à lui, ne meurt jamais.