Bande dessinée

Laurent Astier , Jean-Claude Pautot

Face au mur

illustration
photo libraire

Chronique de Anaïs Guillemet

Librairie Gibert Joseph (Paris)

Entre témoignage méthodique et polar haletant, les auteurs de Face au mur nous livrent une BD entraînante en compagnie de Pépé, braqueur de haut vol qui a marqué l’histoire du grand banditisme français. Depuis sa cellule, le narrateur nous y raconte son parcours : sa jeunesse, son enfermement, ses cavales...

Au fil des pages de cette BD, nous découvrons un personnage intelligent et charismatique, fascinant de méthode, toujours épris de liberté et fragile d’avoir si peur de la perdre quand il est en fuite. Nous suivons son histoire dans le désordre. C’est enfermé, face au mur et derrière les barreaux, que Jean-Claude Pautot nous entraîne dans son passé. Il nous y fait découvrir les cavales, les montages des « braquos », sa jeunesse pleine de fougue, son bref passage en maison de correction, ses séjours en prison, son exil en Corse… Mais, retour à la case départ, c’est sur le début de son histoire que se termine le récit, en prison. Le dessin de Laurent Astier et le découpage très dynamique permettent de se rapprocher au plus près du témoignage. Le coup de génie de cette BD se révèle dans le jeu des couleurs qui, si on suit la chronologie réelle du récit, commence par les tons chauds de la jeunesse (rose, rouge, orange, jaune), pour s’enfoncer progressivement dans les tons froids de l’enfermement (vert, bleu). Les cases sont petites et nombreuses lorsque l’action est rapide, en fuite ; étroites et fermées dans les prisons. Ce huis clos dans la ville, des planques jusque dans les plans de vols et d’évasion, nous le subissons. Enfermés avec le narrateur dans son quotidien exigu, nous sommes en pleine course contre la montre, nous jouons perdants. Le témoignage tourne au polar, grâce à cette envie renouvelée de tourner la page ; parce que nous courons avec lui, nous avons peur avec lui. Mais le personnage se joue de notre impatience et se plaît à prendre son temps, allant et venant dans ses souvenirs. Cependant, la couleur crée un vrai fil rouge chronologique et psychologique, qui nous permet de nous retrouver dans l’histoire et nous y fait basculer complètement, jusqu’à souffrir du véritable symptôme porté par la BD. Au cours des allers et venues, des retours en arrière et des plongées en avant, les auteurs nous emportent avec eux, nous fascinent et nous attachent à ce personnage inattendu. Nous vivons tout avec lui et sans s’y attendre nous nous laissons attraper. La prison, il s’en évade comme nous tournons la page, mais l’angoisse de perdre sa liberté reste là. Nous qui sommes en haleine, nous qui sommes témoins et victimes, nous assistons passifs et bientôt prisonniers de la pire des cellules : « la prison mentale ». Ce qu’il reste au personnage, ce qu’il reste au lecteur, ce n’est plus l’emprisonnement physique, ce qui triomphe c’est l’enfermement psychologique, cette cellule dont on ne sort pas. C’est un présage triste et froid qui pourrait conclure ces pages, le point final de la liberté serait de se cogner encore et encore aux murs de sa propre tête… Mais la dernière case nous apporte un espoir, une suite. Grâce au dossier qui clôt la BD, nous découvrons les documents de police qui viennent appuyer le témoignage, mais aussi, peut-être, un autre type de fuite, une page : celle présentant les peintures de Jean-Claude Pautot. Une nouvelle évasion ?