Littérature française

Mathias Énard

Déserter

illustration
photo libraire

Chronique de Marianne Stelmach

Librairie Au détour des mots (Tournon-sur-Rhône)

Après son hommage au Poitou et à Rabelais, Mathias Enard revient dans ce fascinant roman, Déserter, à ses thèmes de prédilection qui sont, entre autres, la méditation sur l'exil, l'amour et la guerre.

Quiconque a déjà lu Mathias Enard sait qu'il se confrontera à un récit dont les trames vont l'emmener bien plus loin que ce qu'il pensait, et Déserter ne fait pas exception. Il y a d'abord le récit de ce soldat qui fuit la guerre à laquelle il a participé et dont il ne peut plus supporter les horreurs qui y ont été commises, par lui, par d'autres. L'histoire d'un homme qui recherche ses bouts d'enfance et qui sera de nouveau confronté à un dilemme moral. En creux de ce récit linéaire, il y a celui, bien plus complexe, d'Irina, fille du mathématicien est-allemand Paul Heubeder, déporté à Buchenwald et dont la mémoire aurait dû être saluée lors d'un colloque scientifique que les événements du 11 septembre 2001 vont écourter. Ce récit-là suit ce que Mathias Enard qualifie de « courbe sinusoïde » et nous mène sur le terrain de l'histoire des sciences, de la poésie de l'algèbre. Il ne s'agit pas d'un traité de mathématiques pour autant : au travers des vies de Paul, de Maja et d'Irina leur fille, l'auteur parle des engagements, des combats dans lesquels l'on se jette corps et âme et qui mènent parfois à l'isolement social, familial. L'alternance des deux histoires nous pousse à chercher ce qui les relie car rien à première vue ne semble le faire. Ni la structure, ni les lieux, ni les personnages. Mais quoi alors ? Sans doute ce que la guerre nous pousse à faire dans notre sphère la plus intime. Sans doute le regard désespéré des protagonistes face à la facilité des nations à s'affronter quand il faudrait s'unir. La désertion sous toutes ses formes, bien sûr, mais aussi la compassion et l'entraide qui existent au sein du pire. N'attendez donc pas de fils clairs nouant les deux récits, il vous faudra les débusquer tout au long de ce passionnant roman !

Les autres chroniques du libraire