Littérature française

Claire Berest

«Nada es negro»

L'entretien par Gaëlle Maindron

Librairie Livres in room (Saint-Pol-de-Léon)

Frida, petite fille de Coyoacán sera une femme libre. Dort en elle l’artiste qu’elle ne soupçonne pas encore. Un accident changera le cours de sa jeune vie, un homme lui donnera le cap à tenir pour jouir de celle-ci. Laissez-vous guider dans l’histoire d’amour incroyable de Frida Kahlo et Diego Rivera.

C’est le roman d’une gamine dont la vie a pris une direction qu’elle ne soupçonnait pas. L’histoire d’une femme vivante, vibrante, malgré ce corps qui la torture. D’une amante, d’une épouse, d’une amoureuse surtout. L’histoire d’un amour plus fort que tout. Ajoutez à cela le Mexique des années 1930, le monde bouillonnant de l’art, ses couleurs, ses fêtes arrosées d’alcool et de sexe, et vous voilà en compagnie de Frida Kahlo et Diego Rivera. Deux monstres sacrés, des amants à la vie à la mort. Non vraiment, rien n’est noir ici, tout est teinté des nuances de l’amour, des excès, des souffrances, du désir, de la vie en somme. Un voyage au fil de la palette de l’artiste, au cœur de la vie de ce couple si particulier : un ogre dévorateur et une provocatrice née ! Un roman à l’image de ses protagonistes, singulier, révoltant, charnel et enivrant. Vous allez aimer faire partie de cette équipe et aurez sans doute du mal à les quitter.

 

 

PAGE — Nous vous retrouvons aujourd’hui autour d’un éblouissant portrait d’artiste, de femme, de grande amoureuse. Pourquoi Frida Kahlo ?
Claire Berest — Frida, c’est d’abord une rencontre. On fait tous des rencontres d’amour fou dans sa vie avec des artistes qui deviennent des frères, des sœurs qui nous accompagnent toute la vie pour répondre aux questions dans les moments de solitude, pour éblouir dans les moments plus tristes ou pour faire voir au-delà de ce que l’on voit. Moi, j’ai fait cette rencontre avec Frida Kahlo, une rencontre immense quand j’avais 20 ans et que j’étais très seule aux États-Unis. On m’a offert une carte postale d’un tableau de Frida Kahlo, que je connaissais de nom. Quand j’ai vu cette féminité, cette nudité, cette crudité, cette violence, je me suis dit qu’on avait des choses à se dire Frida et moi ! Et elle m’a suivie toute ma vie.

P. — Quelle femme, Frida ! Vous choisissez de nous en faire le portrait car c’est votre compagne de route. Mais qu’est-ce qui fait d’elle un personnage digne d’un roman ?
C. B. — Frida, quand elle est une toute jeune fille, ne vit pas, elle court. On est dans les années 1920. Le fait d’être une femme n’est pas un problème pour elle. Elle a décidé très tôt de se libérer de toutes les contraintes, que rien ne lui serait interdit. Elle a une espèce de sur-énergie permanente. Elle a été une des premières jeunes femmes à intégrer l’école de la Preparatoria au cœur de Mexico. Dans cette école, elle a entraperçu un « mec » incroyable qui était en train de peintre l’amphithéâtre. Elle a 15 ans, il en a vingt de plus, c’est le Lénine du Mexique, il est déjà une icône. Ça ne l’empêche pas de tomber en amour fou pour Diego Rivera. Et puis, c’est l’accident. Imaginez, quand on est un feu follet, qu’on passe sa vie à danser et à courir, se retrouver sur une planche immobile entourée de murs, sans possibilité de voir le ciel. Il n’y a tellement plus de ciel que Frida, lorsqu’elle est dans ce carcan, ce sarcophage, va créer sa fenêtre sur ce plafond qui lui cache le soleil en demandant des couleurs à son père. Et tout à coup, cette jeune femme qui voulait être médecin, qui avait mille envies, s’est mise à peindre pour pouvoir s’exprimer, comme on respire, comme on crie. Frida, c’est « la muerte y la vida » à chaque seconde, c’est l’idée que chaque jour est une épiphanie après une catastrophe. Ce que je voulais dire surtout, c’est qu’en commençant à écrire sur Frida, je pensais évidemment écrire sur cette femme ultra féministe, très complexe, instable, mais aussi soumise et dévouée à son amour. J’avais envie de faire un roman d’amour fou et je me suis rendu compte que je n’écrivais pas sur Frida, mais bien sur Diego et Frida. J’écrivais sur ce qu’est l’amour qui change toute la vie, l’amour qui peut renverser, sublimer, détruire. Ce genre d’amour qui devient une secte à deux. Même si on en sort, on y revient et à la fin de sa vie, on sait que, quoi qu’il s’est passé, on aura un dernier verre à boire avec cette personne-là.

P. — La couleur est au cœur de votre roman, un roman construit autour de la palette de l’artiste. Pouvez-vous nous parler de l’importance des couleurs pour Frida et aussi nous expliquer le titre ?
C. B. — La couleur, pour nos peintres, c’est la substance, la matière. J’ai organisé ce livre en trois parties, comme un triptyque autour du bleu, du rouge et du jaune qui sont les trois couleurs primaires puisque, quand on les mélange, tout peut arriver. Il se trouve que cette idée est née du journal intime de Frida. Il y a une page qui parle des couleurs où elle dit que le bleu, c’est la tendresse. Le rouge, le sang des Aztèques. Le jaune, la couleur des sous-vêtements des fantômes ! Puis elle arrive au noir et écrit « Nada es negro » : rien n’est noir et c’est cela qui m’a tenu tout au long du livre. Quoi qu’il se passe, les accidents, les carrefours, les trahisons, les grandes douleurs… rien n’est noir et c’était ça qui devait innerver tout mon livre.