Littérature française

Sarah Chiche

Une vie pour s'aimer

Entretien par Gaëlle Maindron

(Librairie Livres in room, Saint-Pol-de-Léon)

Alors qu’ils n’étaient que des enfants, un peu perdus dans le monde des grands, Alexis et Margaux s’étaient trouvés. Bien sûr, la vie s’est chargée de les séparer. Et nous, me dites-vous ? Et bien nous, nous lisons fébrilement, comme en apnée, nourrissant l’espoir fou de leurs retrouvailles !

Tout commence en Suisse où nous allons rencontrer Alexis et Margaux. Ils n’ont que 9 ans et leur vie s’apprête à basculer. Pouvez-vous nous les présenter ?

Sarah Chiche J’avais envie de raconter une grande histoire d’amour, une histoire d’amour qui prend toute une vie pour se réaliser et puisqu’elle prend toute une vie pour se réaliser, elle s’enracine dans l’enfance. 1984, Bellevue, banlieue de Genève. Deux enfants de 9 ans. Alexis est le pur produit de la méritocratie : premier de la classe, un enfant très effacé, très docile, très appliqué. Margaux, c’est tout autre chose. Elle a débarqué un jour d’automne, trois jours après la rentrée scolaire. C’est une petite fille aux cheveux châtains, toujours un peu sale, les mains tâchées d’encre, bonne élève, mais certains jours, elle n’est pas en classe, on ne sait pas trop pourquoi. Très vite, on se rend compte que ces deux personnages sont en tous points différents, comme deux pôles opposés. Entre le petit garçon docile, excellent élève, et la petite fille sauvage et taciturne va se nouer un amour très pur, comme on peut le vivre dans l’enfance parfois, un amour vibrant, autour d’un secret.

À partir de là, tout aurait pu être magique mais, bien sûr, la vie va s’arranger pour contrarier leur plan. De ce point de bascule dans leurs si jeunes vies, nous allons les voir grandir, devenir adultes.

S. C. Avant qu’ils ne se séparent (puisque Margaux et sa mère vont disparaître du jour au lendemain), il était très important pour moi de peindre aussi quelque chose de très préservé, de très lumineux et de très beau de l’enfance : les jeux d’enfants, les silences partagés, la joie pure et simple entre un petit garçon et une petite fille face au grand théâtre, au grand chaos des adultes. Leurs chemins vont se séparer et ensuite, on avancera avec eux pour ne les quitter que lorsqu’ils auront 80 ans et, entre temps, découvrir toutes les stations de leur vie l’un sans l’autre. L’adolescence d’un bon élève pour Alexis, petit génie en maths. L’adolescence tourmentée de Margaux. Mais déjà la littérature vient la rencontrer en dépit de l’ennui, en dépit des douleurs de l’adolescence et, très vite, la lecture va être son salut. Puis l’entrée dans l’âge adulte. Alexis suit le chemin qu’on a dessiné pour lui, il obéit docilement et connaît parfaitement le chemin : Louis-le-Grand, prépa, Polytechnique, recrutement par un grand cabinet de conseil international. Entre temps, il rencontre une femme, issue d’un milieu très modeste. Elle a un plan de carrière très défini et va attraper Alexis parce qu’il fait partie de son plan d’élévation sociale. De son côté, Margaux va tenter d’étudier, va passer par mille détours, mille vies. Un jour, elle rencontre un homme qui va être assez intelligent pour l’aider à installer les conditions possibles de son écriture. Ils vont grandir, mûrir. Alexis va se retrouver à New York dans les années 2010 puis c’est la chute. Et c’est à ce point d’intersection mathématique, au moment de leurs 50 ans, qu’ils vont se rencontrer, un soir, par hasard, alors que Margaux, elle, après avoir chuté très tôt dans l’enfance, arrive à se reconstruire, a une vie de célibataire choisie et heureuse.

 

Parce qu’une deuxième chance est possible ?

S. C. Oui, c’est ce que je voulais dire : la deuxième chance est possible. Imaginez, vous faites vos courses et puis, tout à coup, vous tombez sur votre amour d’enfance, votre amour perdu. Qu’est-ce que vous faites dans ce cas-là ? Vous y allez ? Vous freinez alors que vous avez déjà vécu des chagrins, des souffrances, que vous avez eu votre lot ? Que faites-vous ?

 

Ce roman d’amour merveilleux va nous entraîner dans la vie de personnages complexes.

S. C. En effet, la deuxième partie du roman dévoile ceux qu’ils sont devenus au mitan de leur vie. Alexis, avec son vieux père malade, va devenir un aidant, un thème très cher à mon cœur. Margaux, avec son célibat choisi, est-elle prête à rompre sa solitude ? Est-ce qu’on recompose une vie ou pas ? J’avais envie d’écrire une histoire lumineuse, pour dire que l’amour, ce courage de croire en l’impossible, est la seconde chance.

 

 

Il est des romans qui vous happent dès les premières lignes, des personnages que vous avez l’impression d’avoir croisés dans l’enfance et avec qui vous avez envie de faire un bout de chemin. Il est des vies complexes, des batailles perdues, des chutes vertigineuses. Mais il reste l’espoir d’un amour qui transcende tout, qui donne la force d’accepter qui l’on est vraiment à travers l’autre, la possibilité d’un nous. Il est des romans qui donnent à penser, à vibrer, à espérer… Aimer est tout ça à la fois, brillant de psychologie, aiguisé sur l’état de notre société, plein d’espoir et en même temps rempli d’un doux désenchantement propre aux grands changements. Superbe, tout simplement.

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