Littérature française

Adèle Bréau

« La dame de cœur »

L'entretien par Nathalie Iris

Librairie Mots en marge (La Garenne-Colombes)

La vie passionnante et passionnée de Menie Grégoire, l’une des premières femmes journalistes à avoir eu son émission de radio et à avoir porté ainsi la voix des femmes sur la place publique.

L’Heure des femmes est la biographie romancée de Menie Grégoire. Pouvez-vous nous dire qui elle était ?

Adèle Bréau - C’est ma grand-mère. Je n’avais jamais pensé écrire sur elle jusqu’à ce que le magazine Marie Claire me demande de faire un portrait d’elle. J’ai eu pas mal de retour de lectrices sur cet article. C’est alors que je me suis dit que raconter l’histoire de cette femme revenait en effet à raconter d’une certaine façon notre propre histoire. À presque 50 ans, cette mère au foyer bourgeoise se retrouve propulsée du jour au lendemain sur le devant de la scène, avec à une émission de radio pendant laquelle elle converse avec des milliers de femmes qui l’écoutent tous les jours et lui envoient des centaines de milliers de lettres.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous dire qu’il fallait que vous racontiez cette histoire ?

A. B. - Je trouvais très inspirant l’histoire d’une femme dont la vie professionnelle démarre à 50 ans, quelle que soit l’époque. Au départ, ni son époque ni son milieu ne la prédestinaient à un tel succès.

 

De plus, à l’époque, la radio était un milieu d’hommes. Or, un soir, au cours d’un dîner, que se passe-t-il ?

A. B. - Un ami de Menie Grégoire lui dit que la grille de RTL va être entièrement repensée et que des émissions seront ouvertes aux auditeurs. Il lui propose de participer à une émission de ce genre. Menie Grégoire s’est retrouvée quasiment le lendemain matin à l’antenne, dans une émission où il n’y avait que des hommes. Les premières semaines, on lui laisse peu ou pas la parole. Jusqu’à ce qu’un jour elle lise à l’antenne une lettre qu’elle avait reçue et à laquelle elle répond. À partir de là, le lendemain, dix lettres arrivent à la station, puis 100, puis 1 000. Elle aura ainsi peu de temps plus tard sa propre émission.

 

Certaines de ces lettres sont presque inaudibles pour l’époque car elles parlent de sexualité, de rapports conjugaux, d’avortement. Vous tissez avec ces témoignages une part fictionnelle.

A. B. - Ma grand-mère avait gardé les 100 000 lettres reçues que j’ai consultées. À leur lecture, j’ai eu envie de donner vie à Mireille, puis à sa sœur Suzanne. Ces deux personnages ont pour moi autant d’importance que Menie Grégoire dans mon roman.

 

Auriez-vous écrit ce livre si Menie n’avait pas été votre grand-mère ?

A. B. - Je ne sais pas. Étant de la famille, j’avais accès à un grand nombre d’archives qui me permettaient de nourrir aussi mon imaginaire. J’ai toujours travaillé pour des magazines féminins sur des sujets qui m’intéressaient mais je ne sais pas si j’aurais écrit spontanément sur un autre personnage de femme.

 

Au-delà de Menie, il y a aussi l’histoire de famille.

A. B. - En l’occurrence, mon grand-père, qui était haut fonctionnaire et célèbre, a vu tout à coup sa femme devenir aussi célèbre que lui : ce n’était certainement pas facile ! Malgré tout, il l’a portée dans sa carrière et j’ai voulu lui rendre hommage. J’ai aussi voulu montrer que, dans leur couple, chacun a épaulé l’autre dans sa carrière. Ce n’était pas non plus facile pour les filles de Menie Grégoire qui, à 17 et 25 ans, entendaient leur mère parler de sexualité à la radio.

 

Pensez-vous que votre livre permette de remettre dans son contexte l’évolution de la condition de la femme depuis les années 1960 ?

A. B. - Avec ce livre, j’ai voulu mettre en perspective la condition des femmes d’aujourd’hui avec celle de l’époque des années 1960. J’espère que le lecteur se posera des questions sur les avancées et les reculs faits dans ce domaine.

 

Celles qui étaient jeunes dans les années 1960 se souviennent bien de Menie Grégoire, voix emblématique de RTL qui, pour la première fois, a donné la parole aux femmes à la radio. C’est la vie de cette pionnière de la libération féminine que retrace sa petite-fille Adèle Bréau. La forme choisie est celle du roman et s’appuie sur des souvenirs personnels et une énorme documentation. Ce livre est passionnant, il retrace avec justesse la condition des femmes dans la seconde moitié du XXe siècle et l’évolution de la place de la femme dans la société. Un texte qui emporte et émeut le lecteur, à lire de toute urgence !