Littérature française

Cécile Coulon

Le Roi n’a pas sommeil

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photo libraire

Chronique de Max Buvry

Librairie Vaux livres (Vaux-le-Penil)

Par son écriture maîtrisée et ses descriptions précises, Le Roi n’a pas sommeil immerge littéralement le lecteur dans des ambiances et des images (noir et blanc) de l’Amérique profonde. Émouvante galerie de portraits de petites gens pour qui le bonheur ne peut qu’être furtif et sur lesquels pèse une inéluctable malédiction.

William Hogan, en héritant du confortable pactole de ses parents, acquiert le domaine de ses rêves, une vaste propriété sauvage, obscure, peuplée de bêtes sauvages où la présence de l’homme a disparu. Il entreprend immédiatement de l’entretenir et de la protéger. L’homme est solide, dur à la tâche mais s’épuise au travail. Ses économies ne suffisant plus, il accepte tous les boulots, le domaine, la scierie, la gendarmerie où il trie les fiches vertes, les fiches d’assassins d’enfants qui le bouleversent… Même s’il a séduit et épousé la belle Mary, William s’isole, devient taciturne et parfois violent. Une violence sourde, inattendue qu’il ne peut contrôler. Mary continue de l’épauler, sans faille ni retenue, le réconforte, alors qu’il devient de plus en plus distant. La naissance du petit Thomas ne change rien. Alors que Mary le couve, William semble emprunté et hésitant. L’enfant est beau, rieur, brillant mais ne lui correspond pas. Il est sensible et frêle. Le père et le fils ne s’unissent réellement que dans cette tristesse et ce désespoir qui les habitent. Ils s’épieront à distance, sans jamais savoir ou réussir à briser le miroir. Dès ses premières années, tout pourrait sourire à William et néanmoins, une ombre noire, « une humeur noire », semble obscurcir son destin, inéluctablement. Ses premiers mots sont laborieux, son adolescence inquiète. Incidents, accidents de la vie viennent la piquer, la dévorer, comme une sombre malédiction qui veille. La maison familiale et sa mère demeurent heureusement des points d’ancrage salvateurs, coin de paradis, source de petits instants d’oubli, de bonheur, mais la réalité n’est jamais loin et le répit que passager. Les incidents s’enchaînent, mineurs ou non, et après l’accident de son père à la scierie, la vie dérape, son lendemain devient incertain, tangue, jusqu’à quelle extrémité ? Cécile Coulon avec ce deuxième roman offre de sombres et magnifiques portraits d’un homme, d’une famille, d’une petite ville de l’Amérique profonde où tout se sait, rien ne s’oublie et les regards savent le rappeler à chaque instant. L’écriture est maîtrisée et la précision des descriptions dissèque indirectement les âmes et les caractères de personnages denses, épais et puissants, dégageant une espèce de violence sauvage aussi attendrissante qu’effrayante. L’exergue de Steinbeck relie avec pertinence ce roman à d’illustres ancêtres littéraires mais aussi cinématographiques. Méfiez-vous des enfants sages surprenait par son originalité, Le Roi n’a pas sommeil captera par sa puissance et sa maîtrise.