Jeunesse

Gaël Aymon

La Peau de chagrin à l’ère du numérique

L'entretien par Aude Marzin

Librairie Plaisir de lire (Plaisir)

Un objet maléfique, une jeune fille en perdition, une mère dysfonctionnelle, une amie fidèle et vous avez les ingrédients d’un cocktail explosif ! Gaël Aymon ressuscite La Peau de chagrin de Balzac dans notre contexte et, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est très réussi.

Vous avez déjà modernisé beaucoup de contes classiques. Ici, vous nous proposez une version 2.0 de La Peau de chagrin d’Honoré de Balzac. Pourquoi ce choix ?

G. A. - Je n’avais pas fait ce rapprochement ! En fait, c’est la même chose : La Peau de chagrin est un conte fantastique. Plus qu’une version 2.0, c’est surtout un roman complètement différent. Je ne voulais ni réécrire ni adapter Balzac, juste m’emparer du mythe moderne et fascinant qu’il avait créé. J’ai découvert ce roman en fac, il y a de longues années. L’idée d’en faire quelque chose m’était toujours restée.

 

Irina, l’héroïne, reçoit un héritage de sa grand-mère, aussi attirant que dangereux, avec ce curieux morceau de cuir. Malgré les mises en garde de sa grand-mère, Irina va céder à la tentation. Pourquoi ne résiste-t-elle pas ?

G. A. - Ces mises en garde sont énigmatiques et peu claires, et Irina n’y croit pas quand elle scelle le pacte. C’est tout l’intérêt de ce mythe : vous et moi, qu’aurions-nous fait ? Aurions-nous résisté à la tentation de pouvoir écrire notre vie de bout en bout selon nos souhaits ? À quel prix ? Quel sens voulons-nous donner à notre existence ? Quelles valeurs résistent au pouvoir et à l’argent ?

 

Vous invitez Honoré de Balzac dans votre texte, c’est très intrigant. Qu’est-ce qui vous a donné cette idée ?

G. A. - Quand Balzac a écrit son roman, il a inventé le mythe de cette peau de chagrin. Quand j’écris le mien, ce mythe est mondialement connu. Mon histoire se passe de nos jours, je ne pouvais pas faire abstraction de la notoriété du roman d’origine. Plutôt que de contourner le problème, j’en ai fait un élément de l’histoire, en créant la généalogie de mon héroïne sur plus de six générations, et en retraçant celle de Balzac et de sa belle-famille. Il ne reste de ce travail énorme que quelques bribes dans mon roman, mais l’action et la tension du thriller sont augmentées par cette mise en abyme.

 

Quelles sont les différences et les similitudes entre Irina et Raphaël de Valentin, le héros de Balzac ?

G. A. - Tous deux sont à l’aube de leur vie d’adulte, déclassés par la société, face au mur, et dans un environnement si toxique qu’ils ont du mal à voir plus loin que leur propre souffrance. Mais Irina est une jeune femme d’aujourd’hui. Elle ne peut adopter les postures d’un jeune homme d’une époque révolue. L’intérêt était de trouver ce que la féminité et la modernité du personnage changeraient à son destin, et comment je pouvais rectifier des travers de personnalité très romantiques de Raphaël de Valentin et que je ne souhaitais pas encourager chez elle : l’apitoiement, un égoïsme immature et une morbidité datée.

 

L’un des premiers vœux d’Irina sera la dévotion de sa meilleure amie, Halima. Cette dernière va tout plaquer (jusqu’à son entrée à Sciences Po) pour suivre Irina. Est-ce que le soutien indéfectible d’Halima est uniquement imputable au pouvoir de la peau de chagrin ?

G. A. - À votre avis ? Je botte en touche ! Ce serait difficile de répondre sans en dévoiler trop ! Ce qui me semble intéressant, c’est aussi comment et pourquoi Irina peut en venir à désirer une chose aussi terrible. Quelle liberté accordons-nous à ceux qui nous aiment ? Quelle est la part d’égoïsme dans une relation et sa part désintéressée ?

 

De quelle organisation vous êtes-vous inspiré pour l’étrange entreprise tentaculaire prête à tout pour récupérer cette peau de chagrin ?

G. A. - La vie de Balzac et de sa belle-famille russo-polonaise sont plus riches de péripéties et d’intrigues que n’importe quel roman. Il appartenait à des sociétés secrètes, était passionné par le magnétisme et les sciences occultes, criblé de dettes et poursuivi par ses créanciers. Sa belle-famille a son lot d’aventurières rocambolesques, plongées dans des complots internationaux et des intrigues qui sont du pain béni pour un romancier. À moi d’en faire ma propre histoire et de choisir ma propre vérité.

 

À propos du livre

Irina est une jeune fille vivant dans une cité du 93. Elle est en Terminale. Après l’enterrement de sa grand-mère maternelle, le gestionnaire de patrimoine de cette dernière lui annonce qu’elle hérite d’un coffre à la banque. À l’intérieur se trouve une mallette contenant un étrange objet et une lettre de mise en garde. La mère d’Irina explose de colère car elle pensait hériter de tout. Irina est fortement agacée : elle souhaite la fortune, la dévotion de sa meilleure amie, Halima... L’appartement familial va brûler, un chèque d’un montant hallucinant apparaître dans la mallette et Halima va tout lâcher pour s’occuper d’Irina. Coïncidences ? Très vite, Irina s’aperçoit qu’une organisation est à ses trousses et cherche à récupérer par tous les moyens la mallette.

 

Dès 14 ans

Thèmes : héritage, destinée, souhaits