Jeunesse

Florence Hinckel

L’esprit de la forêt

Entretien par Bénédicte Cabane

(Librairie des Danaïdes, Aix-les-Bains)

Florence Hinckel nous livre un page turner palpitant dans lequel elle joue avec les codes du récit fantastique, du roman d’horreur et de l’enquête policière pour créer un récit trépidant. C’est un roman divertissant mais c’est aussi un texte engagé qui met au jour les mécanismes de domination.

La thématique principale traite des rapports de domination et surtout de qui a le pouvoir. En littérature ado, le sujet est peu abordé : on parle de racisme, de sexisme mais le rapport de classe est peu souvent exploité. Qu’est-ce qui vous a donné envie de parler de ces rapports ?

Florence Hinckel En réalité, je n’ai pas arrêté d’en parler dans mes romans précédents et c’est passé un peu inaperçu, à mon grand dam, je dois bien le dire ! (Par exemple, dans Quatre Filles et quatre garçons, mes personnages viennent de milieux défavorisés.) Cette cécité sur les rapports de domination et de classe m'interroge beaucoup. Quand je parle de sexisme, on le voit tout de suite. Quand je parle de racisme aussi. Mais quand je parle de rapport de domination, les gens ne percutent pas. Aussi ai-je décidé de traiter le sujet de manière plus frontale. J'avais aussi beaucoup parlé du validisme dans la saga du Grand saut. Explorer ces différentes thématiques m’a permis de me rendre compte que les modes opératoires des différents types de dominateurs étaient les mêmes. J'ai finalement eu envie de faire une œuvre qui relie toutes les facettes d’un seul et même problème, et que l'on pourrait d’ailleurs qualifier d'intersectionnelle. Mettre en œuvre ces humains-loups, ces lycanthropes, ces loups-garous (suivant le niveau de langage) me permet de rendre visible tous les rapports de domination. Je montre que dominer, quel que soit le type de domination, relève de la même pulsion qui n’est pas liée à la couleur de peau ou à l’appartenance à un sexe. Et ce sont les comportements utilisés par les dominants que j'ai essayé de mettre au jour. Ça peut être de l'intimidation, des agressions verbales ou physiques, des sanctions de toutes sortes. Je me suis aussi appuyée sur la force des récits classiques. La légende qui ouvre le roman est le pendant du conte des Cygnes sauvages (évoqué dans le Brasier) et c’est un récit qui pose les bases de la domination.

 

C’est un roman choral : il y a quatre ados, quatre voix différentes. Pourquoi cette construction ? Vous auriez pu choisir de n’avoir que le point de vue d’un de ces jeunes.

F. H. C'est tout à fait vrai. Mais le récit choral est un genre que j'aime particulièrement et il s’est imposé ici. Si, au départ, j'avais songé à ne faire parler que Milo (qui est, pour moi, le personnage principal), je me suis vite rendu compte, en écrivant, que ce n’était pas possible de n'avoir que son point de vue. J'avais besoin notamment d'avoir celui de Rhéane qui est la dominante de ce petit groupe puisqu'elle est louve. Et d’être aussi dans la tête de Bart qui est né humain mais de père lycanthrope. Tout humain, dans cette société, peut se transformer quand il sécrète une hormone, la lycanthrophose : il développe alors un très fort sentiment de supériorité. On peut ainsi se transformer à tout âge, à partir de 5 ans. Certains l’espèrent très fort, évidemment, puisque être lycanthrope, c'est dominer la société. Normalement, quand on est né de parents lycanthropes, on se transforme très rapidement. Bart, lui, ne se transforme pas. C'est donc un personnage très intéressant dont le point de vue était aussi primordial. J’ai aussi jugé qu’avoir le ressenti de Charline, qui est dans le coma, avait son intérêt. En fait, je n'arrive pas à avoir de personnages secondaires : c'est mon problème [rires], je m'attache à tous mes personnages.

 

Milo, à ses heures perdues, écrit de la poésie dans le journal du lycée, poésies que vous nous livrez. Pourquoi être allée dans ce souci du détail ?

F. H. C'est en fait une longue poésie que j'ai coupée en plusieurs morceaux et que Rhéane lit dans le journal du lycée. Un fil rouge pour expliquer ce qui est arrivé à Milo, le secret au cœur du roman. C'est essentiellement de ce secret dont j'avais envie de parler et je me suis longtemps demandée comment j'allais le faire. Un récit contemporain habituel ne me semblait pas convenir. Cette petite poésie en filigrane permet ainsi de semer des indices tout au long du roman.

 

 

De nos jours, en France, les lycanthropes et les hommes vivent en bonne entente même si les loups-garous concentrent les pouvoirs économiques et politiques. Et il y a la forêt. Elle ne fait pas de distinction : quand vous entrez dans la forêt, qui que vous soyez, son esprit vous dévore et plus personne n’entend parler de vous. C’est ce qui a failli arriver à Charline mais elle a été sauvée in extremis par deux camarades de classe. Depuis, elle est dans le coma et un certain flou entoure son agression. Milo, Rhéane et Bart décident de mener l’enquête, quitte à soulever un lièvre, un gros lièvre ! Sous couvert de loups-garous, Florence Hinckel tente d’ouvrir les yeux à nos ados sur la réalité du pouvoir.

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