Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman pour cette tranche d’âge ?
Caroline Solé C’est le premier pour cette tranche d’âge. Mon premier roman, La Pyramide des besoins humains, était pour les ados, comme les suivants. J’ai aussi écrit en première lecture, Akita et les grizzlis. Là, j’avais envie d’écrire pour des préados, avant qu’ils aient leur téléphone. Je m’intéresse beaucoup au numérique, c’est un peu ma marotte du moment, mais je pense que c’est essentiel de leur transmettre le goût de la lecture avant qu’ils ne basculent dans le virtuel. Je me suis demandé ce que j’aimais lire à leur âge. J’ai tout de suite pensé à Tom Sawyer et Huckleberry Finn pour l’aventure, la liberté, les radeaux, la nature sauvage…
Quel est le décor du roman ?
C. S. D’abord, sur ma feuille, j’ai mis un fleuve : le fleuve Twain. D’un côté, une zone sauvage. (J’ai choisi un climat tropical pour l’évasion, pour que les enfants soient embarqués dans un autre univers.) Et sur l’autre rive, j’ai imaginé une gigantesque tour où les 1984 habitants – petit clin d'œil à Orwell – seraient connectés. Je me suis dit : eux vont être sur leur « Scroog » (pour ne pas dire « écrans »). Donc on a ce décor : un fleuve, une zone sauvage et une tour où tout le monde est connecté.
Qui sont les deux héroïnes du roman ?
C. S. J’ai imaginé une petite fille, Omaya, qui débarque dans ce décor. C’est une jeune réfugiée de 11 ans et demi. On lui a dit qu’elle avait un cousin dans la tour. Ses parents devaient partir avec elle mais n’ont pu la suivre à la dernière minute. Elle est donc seule. Elle est refoulée de la tour et part vers le refuge des enfants sauvages. Elle y rencontre Louve, une petite fille de 10 ans, muette, toujours avec son chacal doré. Louve voit cette jeune réfugiée, coupe son sandwich en deux et le partage avec elle. C’est comme ça qu’elles deviennent amies.
Qu’est-ce que ce refuge ?
C. S. Louve n’a pas connu son père et sa mère a disparu. Elle ne parle plus depuis six mois, depuis cette disparition. Elle a été accueillie par sa grand-mère Georgia, dans une cabane perchée. Il y a un instituteur, GM, qui a créé un refuge où il accueille une poignée d’enfants – des enfants abandonnés, ayant fui la guerre, orphelins. Ils sont cinq garçons, Louve et Omaya. J’ai pensé à Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron : des enfants un peu en marge mais entourés d’adultes qui les aident. Ils vont à l’école, jouent dans le fleuve sur leur radeau mais se sentent exclus de cette tour. Ils l’observent, fascinés et un peu effrayés. Il y a aussi un petit côté La Guerre des boutons, avec des enfants qui s’espionnent et se taquinent.
Quel lien unit la tour et le refuge ?
C. S. Les enfants de la tour n’en sortent jamais. Ils ont peur de ce qu’il y a dehors. Il y a juste trois enfants qui sortent, dont Pixel, et qui viennent un peu narguer les enfants sauvages. Au début, leur relation n’est pas franchement amicale. Omaya, elle, veut à tout prix prévenir ses parents qu’elle a réussi à fuir. Elle est rapidement obsédée par l’idée d’entrer dans la tour. Elle monte une expédition avec Louve et l’aide de tous les enfants sauvages. Elle parvient à ses fins grâce à Pixel. On ne sait pas trop ce qu’il cherche, pourquoi il veut la faire entrer mais il le fait secrètement. Les adultes ne sont pas au courant. C’est ça, l’aventure du livre : l’arrivée d’une petite fille dans ce monde morcelé et l’élan des enfants qui s’allient pour essayer de comprendre ce qui est arrivé à leurs parents ou les prévenir de leur présence.
Pourquoi ce roman est-il important pour vous ?
C. S. Je réfléchis beaucoup, en tant que romancière jeunesse, au rapport des jeunes à la lecture. Les ados lisent de moins en moins. Beaucoup décrochent. Il faut leur proposer des histoires qui les touchent. Comment écrit-on des histoires pour les enfants dans ce monde numérique et anxiogène ? Les enfants ne comprennent pas tout mais ils absorbent. Avec Omaya et Louve, c’était important pour moi de les aider à s’évader et de leur donner le plaisir de la lecture, en ancrant cette aventure dans le monde d’aujourd’hui. C’est important de transmettre un imaginaire qui donne envie de vivre dans ce monde.
Omaya fuit seule pour rejoindre son cousin dans la mystérieuse tour mais l’accès lui est refusé. De l’autre côté du fleuve, elle rencontre Louve, une gamine muette qui vit au refuge des enfants sauvages. Là, pas d’écrans mais des cabanes, des radeaux et l’école en pleine nature. Les habitants de la tour, eux, sont prisonniers volontaires de leurs « Scroogs », ces téléphones du futur. Mais les enfants de la tour rêvent de liberté et d’évasion. Inspiré par l’esprit d’aventure des grands classiques comme Tom Sawyer et Huckleberry Finn, ce roman jeunesse de Caroline Solé mêle malice, nature et critique sociale. Il invite à réfléchir sur notre dépendance aux écrans, l’isolement et les enjeux écologiques, tout en donnant la parole aux enfants, porteurs d’un avenir à construire.