Essais

Cette crise, mon utopie

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photo libraire

Par Raphaël Rouillé

Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)

Étouffé par le poids d’une crise qui l’oppresse et le cogne de plein fouet à la réalité, l’individu contemporain pourrait bien trouver refuge dans l’imaginaire utopique, seul capable de poétiser le monde, d’espérer et de croire à un nouvel idéal, ô combien source d’inspiration.

Dans La République, Platon a dessiné les contours d’une cité parfaite, un idéal d’organisation politique de la communauté humaine. Grand fondateur du concept d’idée, il inspirera Thomas More qui, avec L’Utopie (1516), s’interrogera sur les défauts et les injustices de la société. Comme pour répondre à un besoin social, dans une période de trouble, d’incertitudes et de souffrance, l’utopie semble de retour, réactivée par une crise sans fin, protéiforme. Philippe Askenazy et Daniel Cohen recensent précisément 5 crises : crise des élites, crise de la culture, crise de la finance, crise sociale et crise climatique. En posant de nouvelles questions sur l’économie contemporaine, ils dressent un panorama des risques qui pèsent sur la société et ouvrent des perspectives sur le futur, comme une projection qui nous aiderait à mieux comprendre, mieux anticiper. La volonté du collectif Les économistes atterrés est de faire progresser l’idée selon laquelle « la science économique doit éclairer la pluralité des choix possibles ». Au travers de leur Manifeste et de la parution en format poche de Changer d’économie !, ils proposent des solutions, des alternatives aux politiques actuelles « soumises aux exigences des marchés financiers ». De cette économie semble donc jaillir de la lumière, une éclaircie. Grâce au livre de Michel Dreyfus nous mesurons un peu plus les efforts du secteur économique pour ouvrir des voies en direction de l’économie solidaire et sociale. Dans Financer les utopies, l’auteur revient sur la longue histoire du Crédit coopératif (1893-2013) et examine comment cette histoire participe à sa façon aux « utopies concrètes » et à un véritable projet de société. Plus évocateur encore, le récit et le parcours singulier de Pierre Rabhi nous exhortent à croire en une autre humanité plus juste, plus proche de la terre, plus respectueuse et moins mécanique. Vers la sobriété heureuse (Babel) s’insurge contre un monde dépoétisé et rappelle quelques grands principes fondateurs qui ont érigé l’humanité, largement mis en œuvre et éprouvés par l’auteur dans son expérience d’autogestion et de communion avec la nature. Interprétant l’Histoire ou cherchant à la transformer, l’utopie semble à nouveau vivace, comme une promesse de bonheur. Mais attention aux « créateurs de chimères » ! Jean-Paul Fitoussi l’a bien compris : la déraison et l’aveuglement ont progressivement construit le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et « nous continuons pourtant d’agir, à quelques exceptions près, comme si nous nous trouvions dans le monde d’avant, comme si les crises successives que nous venons de traverser n’étaient que des parenthèses appelées à se refermer au plus vite ». « Peut-on encore honnêtement croire à cette chimère ? » se demande-t-il dans Le Théorème du lampadaire. Comme l’individu qui a perdu ses clefs et les cherche uniquement là où c’est éclairé, sous le lampadaire, nous n’avons aucune chance de trouver nos repères car ils ne sont pas là où nous les cherchons. En ce sens, « les crises européennes constituent une allégorie des problèmes que nous peinons à résoudre lorsque nous plaçons les lampadaires à de mauvais endroits ». Égaré ou éclairé, l’homme moderne doit cohabiter avec cette crise et peut-être canaliser, ou, au contraire, raviver un peu plus la puissance de ses utopies.