Littérature étrangère

Susan Fletcher

Les Reflets d’argent

illustration
photo libraire

Chronique de Catherine Le Duff

()

De l’amour et des histoires, n’a-t-on jamais rêvé meilleurs compagnons pour une nuit, pour une vie, pour l’infini ? En nous invitant à séjourner sur son île imaginaire, Susan Fletcher amarre son esquif sur les terres des Bundy et réveille en chacun de nous un appétit de légendes qu’il est parfois difficile de rassasier.

Parla. Tout y commence, tout y finit. Sauvage et escarpée, elle contemple les existences des quelques êtres qui lui sont attachés et confie ses secrets aux souffles délicats d’une voix en peine. Sous les tumultes terrifiants de la houle et du vent se jouent aussi toutes les amours : fraternelles, passionnelles, destructrices et invincibles, elles rythment la vie de l’île et sont la seule raison de vivre de ses habitants. À travers les mots de Maggie, l’on rencontre au fil des pages son petit monde et tous ceux qui le peuplent, des familles aux âmes unies mais dont les êtres fiers font vaciller de fragiles équilibres. Il y a quatre ans est mort un homme, Tom, époux de Maggie, fils d’Emmeline, frère de Nathan, Ian et Hester. Il est mort en mer, en sauvant un autre que lui. Depuis, c’est l’île tout entière qui a perdu la vie. Le temps est aboli. Jusqu’au matin où un homme apparaît au creux d’une plage : il ne sait ni d’où il vient ni où il va, s’il a traversé l’océan ou échappé à un naufrage, sa seule certitude est qu’il a perdu identité et mémoire. L’Homme-poisson. Ainsi s’incarne une légende, et avec elle s’éveille l’île. Sa force physique inspire le respect, son passé intrigue mais sa ressemblance avec Tom ravive les douleurs, aussi est-il voué à devenir la silencieuse tempête de l’île, car seule l’indifférence ne peut l’atteindre. Il restera une lune, ainsi le veut le vieux livre d’Abigail, mais demeurera un siècle, le temps de laisser chacun entrevoir à nouveau la possibilité de l’espoir. Sans rien connaître d’aucun d’entre eux et sans jamais l’avoir voulu, cet homme secoue leur orgueil, fait couler des larmes et résonner des rires, il cristallise leurs émotions trop longtemps enfouies sous un deuil impossible. Ses premières journées sont celles des austères rencontres et du sommeil salvateur, il laisse courir les rumeurs de maison en maison, de famille et famille. Lui aussi a une histoire à ranimer, il ne la confiera qu’à quelques oreilles au moment du départ, mais qu’importe : « on est chez soi là où on laisse son cœur », et le sien palpite encore à Parla. Avec lui, l’île redevient un condensé de l’humanité, dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus beau. Susan Fletcher commence les histoires comme le font toutes les mères, et comme tous les enfants, on s’endort en rêvant. Parla est empreinte de mythes, de mystères, de mystique, elle est infaillible et terriblement humaine, elle aime la vie avant tout. L’important est d’y prendre le temps, tout son temps, d’en écouter les moindres miracles pour que déferle l’émotion, car « le temps et l’esprit humain sont puissants et deviennent incommensurables quand ils avancent main dans la main ». À force de sonder les âmes et d’en contourner les fiertés, Fletcher en découvre les portes d’entrée. Celles de Parla n’oublient pas, mais leurs tristesses s’évaporent et laissent place à l’espérance du bonheur. Parla existe, vos cœurs y ont tous déjà séjourné.