Littérature étrangère

Benjamin Wood

Le Complexe d’Eden Bellwether

  • Benjamin Wood
    Traduit de l’anglais par Renaud Morin
    Zulma
    28/08/2014
    512 p., 23.50 €
  • Chronique de Caroline Broué
    Média France Culture (Paris Cedex 16)
  • Lu & conseillé par
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Chronique de Caroline Broué

Média France Culture (Paris Cedex 16)

C’est toujours un moment très émouvant de découvrir un jeune écrivain talentueux. Benjamin Wood, 33 ans, en est assurément un. Il vient de publier son premier roman, Le Complexe d’Eden Bellwether, chez Zulma (qui a fait une belle rentrée en éditant aussi le livre de Jean-Marie Blas de Roblès, L’Île du point Nemo). Benjamin Wood a commencé à écrire très jeune en adaptant les paroles de chansons extraites de la collection de disques de sa mère. Puis il a étudié la littérature anglaise avant de se lancer dans une carrière d’auteur interprète. Après avoir suivi un atelier d’écriture au Canada, il a compris que son ambition première était d’écrire de la fiction ; mais ce qu’il aime par-dessus tout, c’est la correspondance entre les mots et la mélodie. À l’écrivain de travailler sa phrase comme une musique. Pour cela, il a lu les écrits de théoriciens comme Johann Mattheson. Mais aussi guetté le rythme, travaillé la sonorité de la langue, bataillé avec les mots jusqu’à ce qu’ils ressemblent à la phrase musicale souhaitée, au son de Jeff Buckley, Billy Joël ou Paul Simon. De musique, Le Complexe d’Eden Bellwether en est imprégné. De l’orgue et des chœurs d’église d’abord, puisque l’histoire commence quand le narrateur, Oscar, assistant infirmier dans une maison de retraite, est subjugué par les chants provenant de la chapelle de King’s College du campus de Cambridge. L’organiste maître de chœur n’est autre que le héros du livre, Eden Bellwether, frère d’Iris, violoncelliste, dont Oscar tombe amoureux. « There was a boy, a very strange enchanted boy », chante Nat King Cole, qui fait partie de la bande originale du roman. Étrange, charismatique, mais inquiétant, Eden croit sincèrement que la musique peut guérir les corps et s’emploie à la musicothérapie par l’hypnose. La force de Wood est là, dans l’ambivalence de ce personnage mi-ange mi-démon. Le lecteur veut croire en lui, mais n’y arrive pas complètement, et l’auteur prend un malin plaisir à entretenir le doute : Eden fait-il vraiment du bien ou pense-t-il en faire ? Qui est-il ? Un fou manipulateur, pervers narcissique ou un homme profondément altruiste, doté de pouvoirs surnaturels ? Cette question installe une menace, une tension dans la lecture, après un prélude au cours duquel la police et Oscar découvrent des corps, dont celui, pas tout à fait mort, d’Eden. Les quelques 500 pages suivantes sont donc un flash-back conduisant à un drame. Il y a à la fois du Gatsby dans Eden Bellwether et du Richard Powers dans l’usage par l’auteur de la musique et de la science. Cependant, le plus beau thème du roman se dégage d’un quatrième personnage, Herbert Crest, médecin, psychologue, spécialiste des troubles de la personnalité et atteint d’une tumeur au cerveau. Il engage avec Eden une partie d’échecs où se jouent l’équilibre mental de l’un et l’espérance de survie de l’autre. « L’espoir est une folie » dit Crest. Le complexe d’Eden Bellwether ne tiendrait-il pas dans ces quelques mots ? Autant dire que ce premier roman est placé sous de beaux auspices et nous fait attendre avec impatience L’Éclectique, à paraître l’année prochaine au Royaume Uni.

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