Essais

Pierre Clastres

La Société contre l’État

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photo libraire

Chronique de Cédric Rio

Pigiste ()

L’analyse du rapport au pouvoir des sociétés primitives permet de mieux cerner notre propre rapport à l’autorité. Elle dévoile avec fracas l’acceptation par les sociétés occidentales d’une accaparation politique du pouvoir.

Contre une approche ethnocentriste consistant à véhiculer des valeurs occidentales au sein de notre jugement sur des sociétés présentant des caractéristiques distinctes, Pierre Clastres dévoilait dans La Société contre l’État l’anthropologie politique des sociétés primitives et le rapport au pouvoir des individus qui la composent. Selon l’anthropologue, les sociétés dites primitives des Indiens d’Amérique se caractérisent par l’absence de pouvoir coercitif : le pouvoir existe à l’intérieur de la société mais ne véhicule pas de subordination d’un chef sur une multitude de sujets. Cela ne constitue en rien une carence, un développement inaccompli, mais la marque d’un refus des individus peuplant la société d’un « instrument qui permet à la classe dominante d’exercer sa domination violente sur les classes dominées » . La société s’érige ainsi contre l’institution d’un pouvoir politique indépendant et dominateur en tant qu’il constitue la marque d’une inégalité entre les Hommes. L’anthropologie politique des sociétés primitives ne pourrait s’appliquer au sein des sociétés occidentales contemporaines : que le pouvoir coercitif soit considéré comme le mal par les Indiens d’Amérique, que « la relation politique du pouvoir précède et fonde la relation économique d’exploitation » , cela ne signifie en rien qu’il faille obligatoirement en juger ainsi en ce qui concerne les sociétés occidentales contemporaines. Même si l’inaccessibilité de l’organe politique pour les plus démunis perpétue une domination injuste, l’État est aujourd’hui davantage considéré, notamment en Europe, comme un moyen de lutter contre les inégalités. Face à la crise économique et financière, on en appelle ainsi inlassablement à la régulation de l’économie pour en freiner les effets dévastateurs. Mais l’observation d’une société présentant des caractéristiques distinctes offre le recul nécessaire pour saisir notre propre rapport au pouvoir, et l’acceptation d’une forme de domination du politique sur la société. Ce recueil d’articles paru originellement en 1974 est republié avec à-propos aujourd’hui : l’ouvrage de Pierre Clastres nous invite à réintroduire du pouvoir au sein de la société, et à contester par la même occasion sa monopolisation par les institutions politiques.