Littérature étrangère

Deborah Levy

La Position de la cuillère

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Chronique de Cloé Lebron

Librairie Librairie Rosemonde (Tours)

Après sa trilogie Autobiographie en mouvement, récompensée par le prix Femina étranger en 2020, Deborah Levy revient avec un nouvel ouvrage. La Position de la cuillère nous ouvre les portes des pensées intimes de l’autrice et de ceux qui les habitent.

Très connue pour ses romans de l’autre côté de la Manche, Deborah Levy est apparue dans le sillon littéraire français il y a à peine trois ans, après Ce que je ne veux pas savoir et Le Coût de la vie, les deux premiers volets de son autobiographie. Elle y raconte son enfance en Afrique du Sud pendant l’apartheid, son adolescence d’exilée en Angleterre ou encore sa vie d’écrivaine fraîchement divorcée. Sa plume est fluide, son talent dans l’art de la digression subtile, parfois même saupoudré de malice. Et quand il s’agit de cerner les secousses de l’existence, elle vise dans le mille. La Position de la cuillère ne déroge pas à ces règles. Elle y mêle fragments de pensées, de lectures ou bien questionnements universels. Elle nous fait aussi explorer tout son monde littéraire, artistique et critique en jouant aléatoirement sur le genre. Dans cette trentaine de « bonheurs impertinents », elle affûte sa curiosité pour les gens, les choses et les détails en prenant la liberté de brouiller la fiction, la réflexion et l’émotion avec des lettres, des nouvelles, des souvenirs extraits du quotidien. Ainsi la description d’une balade dans Londres, un jour de pluie en novembre, succède à une nouvelle intitulée Télégramme à un pylône transmetteur de messages à distance dans laquelle elle semble adresser un message, voire un cri à l’univers et qui se clôt ainsi : « Laisse-moi te dire aussi qu’une pensée peut se tordre comme une cuillère ». Qu’on le lise d’une traite ou que l’on musarde au gré des chapitres, le nouveau livre de Deborah Levy nous emmène au cœur de sa bibliothèque personnelle, de ses auteurs et artistes favoris. Elle fouille dans l’inconscient de leurs œuvres afin d’explorer ce qui relie les existences à l’écriture. De Freud à Ballard, l’écrivaine nous dévoile son goût pour la psychanalyse et sa maîtrise théorique sur les sujets qui l’animent. Elle dresse librement des portraits de femmes qui l’ont forgée et inspirée, comme Violette Leduc, à qui elle dédie tout un chapitre. Avec elle, Deborah Levy explore le genre autobiographique et interroge peut-être son propre travail : « Au fond, elle n’a pu écrire d’autobiographie que parce que c’était une romancière qui savait suturé sans couture le passé et le présent au sein du même paragraphe ». C’est là toute la puissance de l’écriture de Deborah Levy et de ce livre : nous faire passer d’un commentaire sur la pulsion de mort (au volant) sous forme d’abécédaire, à la simple image d’une paire de chaussures ayant le pouvoir de faire naître l’expression d’une semi-rébellion et d’un exil programmé.

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