Essais

Sophie Galabru

Faire famille

illustration

Chronique de Marguerite Martin

Librairie Terre des livres (Lyon)

En société, les individus vivent en interaction les uns avec les autres et ne sont, pour la plupart, pas isolés. Du lien social émane une forme de protection, de reconnaissance et d’intégration. Ce lien est une notion évolutive que ces trois ouvrages réinterrogent.

Dans la BD Le Lien, Mathilde Levesque, professeure de français à Aulnay-sous-Bois, conte la richesse de son métier par anecdotes, révèle la fragilité que partagent adolescents et enseignants. Et si le rire domine, personne n’est moqué, à l'exception d’elle-même (tendre autodérision). Elle fait face aux codes obscurs et aux fêlures des élèves et s’extasie de leurs trouvailles langagières et fascination pour Goethe dans un même élan. Enseigner signifie relier les êtres, tenir en équilibre fragile cette relation et ne pas renoncer, malgré doutes et galères, à partager du savoir et donner à penser. C’est ce que révèlent ces scénettes loin des idées reçues, soulignées par la délicatesse des dessins de Minh Nguyen.

On entre aussi en terre familière avec l’enquête sensible Écoute les murs parler : qui n’a en effet jamais approché la souffrance psychique ? L’immersion dans cette ville qui abrite un immense hôpital psychiatrique a des allures de voyage initiatique. L’autrice se surprend à réévaluer sa vision de la psychiatrie et du soin, mais plus encore le lien qui nous unit aux êtres que la souffrance psychique a éloignés du monde. Elle arpente les unités du lieu de soin, les rues et les commerces de la ville, et cisèle de jolis portraits dans la pierre de nos jugements hâtifs. Cette entrée en humanité attise la curiosité vis-à-vis d’une psychiatrie qu’on rêve, à l’instar d’Olivier Brisson, d’Emmanuel Venet et de Thierry Metz, « indisciplinée, artisanale et poétisée ».

Si la famille est par essence le lieu du lien, il y oscille de l’évidence à la lutte, en constante évolution, au gré des amours, unions, départs et décès, des naissances, adoptions, accueils et recompositions. La famille, huis clos et zone éminemment politique où se confrontent transmission et identité, liberté et émancipation est dans Faire famille décryptée par une plume sensible et curieuse qui convoque la pop culture pour interroger nos manières de vivre ensemble. Au-delà de la glaçante constance des schémas traditionnels, cette traversée turbulente dans l’analyse des liens familiaux est un manifeste pour une non-confusion des genres, un respect des spécificités et une ode aux liens dans l’acceptation des mutations en cours.