Essais

Philippe J. Dubois

Denise

LB

✒ Loïc Bour

(Librairie Lamartine, Paris)

Dans ce monde où tout file à mille à l'heure, où chacune de nos secondes est comptée, Denise prend le temps d'observer la nature qui l’entoure. Philippe J. Dubois nous convie à la table de Denise afin d’entamer à ses côtés une discussion sur un monde qui tend à disparaître sans que l’on ne s'en aperçoive.

L'océan ou la capitale, elle ne les a jamais vus. Le monde, elle le voit et l'observe uniquement à travers les quelques pages consacrées à l’actualité internationale de son journal quotidien, celui de son Cantal natal. Denise, née en 1928, raconte le mode de vie d'un autre temps. En ce temps-là, il n'était pas question d'écologie ou de surveiller son bilan carbone, tout ceci était une évidence. Et pourtant, un beau matin, des vaches à la robe pie noire venues de Hollande remplacent les belles races bovines couleur froment de l’Aubrac. Vient le tour des moutons dont les races locales moins productives sont elles aussi sacrifiées sur l’autel de la productivité. Petit à petit, lancé dans sa course aux rendements, dans un mode de vie usant la terre plus que de raison, l’homme modifie son environnement. Dans un assourdissant silence, ce qui faisait la richesse de nos rivières, de nos sols, de nos campagnes ou la beauté du ciel disparaît. Frappés d’une amnésie collective, nous oublions le chant des alouettes Lulu qui enchantait nos promenades d’antan ou encore l’incroyable quantité de moustiques qui couvraient le pare-chocs au retour des vacances. Victimes du « syndrome de la référence changeante », nous n’imaginons pas un instant que si les alouettes qui habitaient notre enfance étaient plus nombreuses qu’aujourd’hui, ce sont ces quelques spécimens qui seront la référence de nos enfants. Le combat que nous menons pour protéger les espèces animales et végétales est alors biaisé. Ainsi, en seulement trente ans, la population des oiseaux a baissé de 30 %. 19 % des poissons et 14 % des mammifères sont en voie de disparition. Dans ce même laps de temps, l’Europe a perdu 80 % de ses insectes. Denise ou la fin d’un monde mêle intelligemment les souvenirs d’enfance de Philippe J. Dubois (qu’il a passé à quelques pas de la ferme de Denise) et des données scientifiques. Tantôt touchant, à travers la parole donnée à Denise, tantôt passionnant par ses observations scientifiques, le livre de Philippe J. Dubois est une ode à la nature et à sa fragilité. À la lecture de ce bel essai, nous nous retrouvons à la table de Denise pour réfléchir sur nous-mêmes et notre rapport à la nature. Du fond de notre mémoire reviennent alors les souvenirs de la nature qui, hier encore, nous berçait tendrement.

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