Beaux livres

Gilles Mermet

Les Toits de Paris

illustration
photo libraire

Chronique de Serge Belfiore

()

Paris est sans doute la capitale du monde la plus visitée, la plus photographiée et la plus désirée. À raison, puisque personne ne contestera que se promener au hasard de ses rues est un constant motif d’enchantement. Les ouvrages consacrés à la capitale française abondent, voici une sélection subjective.

Le savant livre de Michel Carmona se présente comme une déambulation à travers les siècles. De la tribu des Parisii aux ambitieux projets de développement conduits sous le règne de Philippe-Auguste, du roi urbaniste Henri IV, qui fit bâtir le premier pont en pierre de la ville (le Pont Neuf), aux titanesques transformations haussmanniennes, la capitale ne cesse de s’agrandir et d’embellir. Le XXIe siècle s’inscrit dans ce processus au long cours avec les projets de « Grand Paris » institués par l’actuel président de la République. Au fil des pages, l’auteur décrit aussi un peuple de Paris insoumis, évoquant le souvenir des révoltes menées par Étienne Marcel au XIVe siècle, la révolution de 1789 et celles qui ont jalonné le XIXe siècle (Révolution de Juillet en 1830, Commune en 1871…), bien sûr aussi les barricades de Mai 68. Paris, nous rappelle Michel Carmona, c’est aussi un mode de vie en constant renouvellement, une capacité à inventer, à générer des modes qui ensuite essaiment à travers le globe – les salons aux XVII, XVIII et XIXe siècles, les cafés, le dynamisme des théâtres et celui de la littérature, l’effervescence intellectuelle de l’après-guerre ou des Lumières, les fastes de la monarchie, le goût de la fête et parfois sa folie au cours de l’entre-deux guerres, l’élégance légendaire de ses habitantes et sa science du plaisir, etc. Chapitre après chapitre, l’auteur restitue de façon agréable et érudite le quotidien de cette ville qui continue d’attirer à elle le monde entier.

En dépit de ce que répètent à l’envi les mauvais esprits, Paris ne s’est jamais figé en « Capitale-Monument ». L’historien Pierre Pinon en apporte une nouvelle preuve – s’il en était besoin – avec son Paris détruit, publié par Parigramme, en montrant combien le patrimoine parisien a été la proie de bouleversements dus aux guerres, à la mégalomanie des urbanistes et des puissants ou aux nécessités de la modernisation urbaine. Sans condamner ni absoudre, l’auteur s’attache à retracer l’évolution de la capitale, appuyant sa démonstration sur cinq grandes périodes. D’abord avec l’Ancien Régime qui ne détruit que pour embellir ou s’autocélébrer, sans se soucier d’une quelconque préoccupation patrimoniale ; puis la période révolutionnaire qui s’attaque surtout au bâti religieux, avant de passer en revue les premières notions d’urbanisme global apparues au cours du XIXe siècle. La seconde moitié du XIXe siècle voit naître une conscience patrimoniale grâce à l’engagement de personnalités comme Victor Hugo, et se constituer, en 1897, la Commission du vieux Paris. C’est aussi pendant cette période que les régimes qui se succèdent cherchent systématiquement à laisser trace de leur passage dans la pierre, de même que la bourgeoisie industrielle naissante s’emploie, au même moment, à marquer Paris de sa fastueuse présence. À l’appui de son propos, Pierre Pinon produit quantité de photographies et de documents iconographiques fascinants sur les destructions impressionnantes causées par les affrontements de la Commune et les bombardements prussiens.

 

\"\"

© Pierre Pinon, Paris détruit, Du vandalisme architectural aux grandes opérations d'urbanisme, Parigramme/Carnavalet Roger Viollet

 

Du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970, Paris hérite des grands chamboulements du siècle précédent et semble devoir se contenter d’en prendre acte, en entretenant ce qui existe déjà et en achevant ou en embellissant ce qui a été entrepris. Toutefois, certains ravages aberrants ponctuent aussi la période sous l’action conjointe de la poussée foncière, qui génèrent la disparition d’hôtels particuliers et de joyaux architecturaux parfois sauvés in extremis, et de certaines désastreuses initiatives de la ZAC (Zone d’Aménagement Concerté ? !) prises notamment durant les Trente Glorieuses et dont pâtissent plus spécialement les XIIe et XXe arrondissements. En regard de ces errements, les dévastations des siècles précédents font, selon Pierre Pinon, figures de pipi de chat !

Le Paris utopie d’Yvan Christ permet de mesurer l’ampleur de la catastrophe à laquelle la capitale a échappé, en énumérant les projets quelquefois grandioses, souvent burlesques et presque toujours hideux dont les deux rives ont failli être le théâtre : un aérodrome sur la Seine, une rampe en béton armé pour un accès automobile direct au premier étage de la Tour Eiffel, ou un rêve du Corbusier : la refonte totale du centre de paris en cité dite « radieuse ». Le Palais des Tuileries de Guillaume Fonkenell est une étude poussée sur un monument disparu qui, de sa construction voulue par Catherine de Médicis à sa destruction dans un incendie en 1871, a occupé le cœur de Paris. Le travail de Guillaume Fonkenell offre par ailleurs l’occasion d’ouvrir (ou de rouvrir) le débat autour du remake d’édifices ruinés, au moment même où Berlin s’est lancé dans la reconstruction de son ancien château. Enfin, prenons un peu de hauteur avec le beau livre de Gilles Mermet consacré aux toits de Paris. De la tuile à l’ardoise puis au zinc, c’est l’art de générations de couvreurs et la fascination d’écrivains, de peintres ou de photographes pour ces merveilleux reflets d’argent, que l’auteur passe en revue.