Essais

Gisèle Freund

La Photographie en France au XIXe siècle

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photo libraire

Chronique de Luc Battiston

Pigiste ()

Fichés ? et La Photographie en France au XIXe siècle, ouvrages consacrés à l’histoire de la photographie, sortent en librairies, en contrepoint de l’exposition présentée à Paris autour de ces thèmes. Une occasion de découvrir un siècle de fichage des populations, mais aussi de se faire une idée des relations étroites existant entre l’art et la société.

La photographie, et par extension le fichage (Internet et ses réseaux sociaux, le passeport biométrique, etc.), sont au cœur de notre quotidien. Il est intéressant de se replonger dans les origines de la photographie pour comprendre certains des enjeux de l’actualité. Ces deux ouvrages évoquent les moments clefs de l’histoire de la discipline et ses dérives dans la société.

L’artiste Gisèle Freund, célèbre pour ses portraits d’écrivains (Sartre, Virginia Woolf ou Colette), fut la première à entreprendre une thèse sur la sociologie de l’image. Publiée en 1936, La Photographie en France au XIXe siècle est rééditée aujourd’hui dans sa version originale, annotée par l’auteur. Cette étude, illustrée de documents et d’images, passe en revue de manière chronologique les différentes étapes de ce procédé de création innovant. À l’époque, un mystère plane autour de cette technique, qui, pour l’essentielle, bénéficie à la bourgeoisie. Peu à peu, la demande s’élargit et l’émergence d’artistes tels que Nadar ou Disdéri change la donne. Le développement des classes moyennes entraîne à la fois des demandes et des besoins nouveaux, et réclame des formes inédites d’identification. L’époque est désormais associée au réalisme, n’en déplaise à ses nombreux détracteurs. En effet, des réticences se font sentir, en particulier du côté de l’Église qui n’hésite pas à diaboliser le procédé, mais aussi chez certains peintres qui contestent la dimension artistique de la photographie. En replaçant l’apparition de la photographie dans son contexte sociologique et politique, Gisèle Freund livre une réflexion pertinente et avant-gardiste sur l’art et la société.

Peut-être plus complexe, mais tout aussi captivant et instructif, Fichés ?, écrit sous la direction de Jean-Marc Berlière et Pierre Fournié, retrace l’histoire du fichage des populations par la police et les administrations, du Second Empire au recensement de 1960 en Algérie. Dans ce livre, agrémenté de nombreux documents conservés par les Archives nationales, sont notamment dévoilés des fichiers de la Seconde Guerre mondiale, des images de la classification des étrangers et des nomades, les premières cartes d’identité avec clichés réglementés, ou encore l’usage du système Bertillon (technique criminologique basée sur l’analyse biométrique, et tout spécialement connu pour ses photographies de face et de profil). Au fil des pages, les auteurs invitent le lecteur à s’attarder sur les détails parfois surprenants des illustrations. Les portraits-cartes d’artistes, par exemple, diffusés dans le monde du théâtre, étaient détournés de leur vocation initiale pour alimenter les registres de la police des mœurs. On peut ainsi voir sur celle de Jean Cocteau la mention : « Poète anarchiste homosexuel ».

En somme, ce livre nous rappelle que la question de la propriété de l’image, de son utilisation et de ses détournements perdure depuis les origines de la photographie.