Essais

Alan Riding

Et la fête continue

illustration
photo libraire

Chronique de Federico Tarragoni

Pigiste ()

Quand deux passionnés se penchent sur l’histoire culturelle de la Seconde Guerre mondiale, le résultat obtenu est une agréable promenade visuelle et sonore à travers la France, des champs d’atterrissage de Périgueux à la galerie parisienne de Jeanne Bucher, élaborée à partir de ce postulat initial : la vie culturelle ne s’est pas arrêtée en juin 1940.

À partir essentiellement de mémoires et d’entretiens réalisés auprès de survivants, les deux auteurs nous livrent une approche minutieuse mais peu conventionnelle de la vie culturelle française pendant la Seconde Guerre mondiale, l’un décryptant les messages radiographiques de la fameuse émission de la BBC, La France parle aux Français, l’autre dressant un large panorama des activités culturelles dans le Paris occupé. Dans un style romanesque et enjoué, les auteurs font revivre les années noires de l’Occupation en montrant comment les Français, résistants ou non, intellectuels engagés ou non, ont su utiliser les supports culturels mis à leur disposition pour surmonter le traumatisme de la défaite. L’objectif affiché dans ces ouvrages n’est certes pas de renouveler l’historiographie de la période ni de soulever l’épineuse question des interactions entre culture et guerre. De fait, après une rapide mise en contexte, on plonge sans difficulté dans le foisonnement factuel de ces livres où l’anecdote prend toute son importance : par quel message Lucie Aubrac a-t-elle annoncé la naissance de son deuxième enfant ? Où les Parisiens allaient-ils danser après la signature de l’armistice ? Bien sûr, les événements sombres de la guerre ne sont jamais bien loin et en trame de fond revient continuellement le problème du contournement de l’interdit (censure, surveillance policière) dont sont frappés tous les vecteurs culturels étudiés ici. Dans Melpomène se parfume à l’héliotrope, au-delà de la simple recension des messages radiophoniques, l’auteur nous conduit finalement à nous interroger sur l’élaboration d’un langage spécifique, cocasse dans sa forme, lourd d’implication dans sa signification, et qui devint un relais primordial de la Résistance. De même, dans Et la fête continue, Alan Riding fait ressortir l’idée d’un « âge d’or de la culture », comme si la multiplication des productions culturelles (cinématographiques, littéraires...) ou l’augmentation de la fréquentation des lieux de divertissements (théâtres, music-hall...) avaient constitué des exutoires à cette situation inédite de l’Occupation. On regrettera toutefois l’absence de mise en perspective plus vaste, alors que les sujets de ces deux ouvrages auraient permis d’examiner l’émergence d’une culture de guerre, et le caractère quelque peu compilatoire des différentes entrées, les auteurs ayant voulu proposer une vision aussi générale que possible de cette période complexe. Il n’en reste pas moins des ouvrages riches en détails qui raviront les amateurs de la période.