Littérature étrangère

Lena Andersson

Ester ou la passion pure

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photo libraire

Chronique de Lucie Sawina

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Ester est jeune et mène une vie calme et sereine avec un compagnon et un travail qui lui plaisent. Ester ou quand la passion balaie tout sur son passage. Ester ou la passion pure, prix August 2013 (l’équivalent de notre Goncourt), est le cinquième roman de la suédoise Lena Andersson.

Ester est jeune et mène une vie calme et sereine avec un compagnon et un travail qui lui plaît. Sa rencontre avec Hugo, un artiste quelque peu torturé, va tout bouleverser. Cet homme éveille immédiatement chez elle une passion dévorante qui balaie tout sur son passage. Mais Hugo est un homme fuyant toute relation trop intime. Ester analyse chaque détail de sa relation avec son insaisissable amant : SMS, discussions, contacts physiques… Ester ne dort plus, ne mange plus, ne travaille plus, Ester attend un signe d’Hugo. Même le chœur des copines (accessoire indispensable de toutes jeunes femmes amoureuses) n’arrive pas à lui faire entendre raison. C’est justement ça l’un des sujets les plus important du livre de Lena Andersson : la raison opposée à la passion. Tout du long, Ester oscille entre sa raison qui lui dit que cet homme n’est pas pour elle et sa passion qui voit dans le moindre signe d’Hugo un espoir de vivre une histoire hors du commun. Ce livre m’a fait réagir, m’a mise en colère, m’a fait réfléchir. Il est difficile à quitter une fois refermé. J’ai adoré.

 

Page — Tout d’abord, j’aimerais savoir si le fait d’être journaliste influence votre manière d’écrire des romans.
Lena Andersson — J’écris pour les journaux, mais en tant qu’éditorialiste et analyste, non en tant que journaliste. Mon travail s’apparente davantage à celui d’un essayiste ou d’un philosophe. Cela m’aide à aiguiser mon jugement et m’incite à approfondir sans cesse mes connaissances. La différence, entre la rédaction d’un éditorial ou d’un essai, et la rédaction d’un roman, réside dans le fait que, dans le deuxième cas de figure, je me laisse porter par le rythme de la langue et que la forme prend le pas sur le fond. Lorsque j’écris un essai, la clarté de la langue est évidemment très importante, mais le sujet prime. La forme, le ton, la sonorité suivent.

Page — Qu’est-ce qui vous pousse à écrire ?
L. A. — Essentiellement un besoin d’étudier ce que sont réellement la vie humaine et les interactions entre les hommes. Aussi, d’une certaine façon, je ne réfléchis en profondeur que lorsque j’écris.

Page — Comment vous est venue l’idée de votre roman Ester ou la passion pure ?
L. A. — En vivant et en observant – moi et les autres. En faisant l’expérience d’une relation déséquilibrée, comme celle dans laquelle Ester se lance. En voyant des amies vivre la même situation. Tout cela donnant lieu à des discussions sans fin au fil des années.

Page — Dans votre livre, Ester analyse toutes les réactions d’Hugo, comme pour se convaincre que cette relation n’est pas vaine et dénuée de sens, tandis qu’Hugo fuit toute forme d’intimité. Comment avez-vous construit vos personnages ?
L. A. — Il était important pour moi que le lecteur suive et accepte la logique et la psychologie d’Ester, même s’il se sent forcé de rejeter ses actions et son insistance. Je voulais décrire exactement, et dans les moindres détails, les premiers pas d’une relation naissante. Quant à Hugo, je voulais dépeindre la part active qu’il prend dans cette relation et qui contraste avec son refus d’admettre le fait qu’il s’intéresse à elle et qu’il a joué un rôle dans leur rencontre. Il se comporte vraiment comme un amant ambivalent, partagé entre son indifférence vis-à-vis d’Ester et sa peur de ne pas être perçu comme un gars sympa. Ambivalence qui le pousse à infliger encore plus de souffrance. De plus, je voulais créer un lien intellectuel fort entre ces deux personnages et pas seulement sexuel, car nulle relation ne peut survivre si elle repose uniquement sur le sexe. Parce qu’Hugo est narcissique, et donc incapable de la moindre intimité cérébrale, et qu’Ester considère cela comme une condition préalable à toute relation, leur histoire est vouée à l’échec.

Page — J’ai lu que vous aviez écrit un autre livre mettant en scène Ester. Pourquoi avoir repris ce personnage ?
L. A. — Le second roman sur Ester Nilsson s’intéresse à un autre aspect compliqué des schémas et des répétitions qui gouvernent l’amour et les relations entre adultes. Dans ce roman, Ester rêve d’une relation égalitaire mais se retrouve, totalement contre sa volonté, la maîtresse d’un homme qui n’a aucune intention de choisir entre elle et sa femme. Au contraire, il est plutôt content de les dresser l’une contre l’autre d’une façon qui lui convient parfaitement. Ce comportement est tellement incompréhensible aux yeux d’Ester, qui préfère ne pas agir si elle n’y met pas toute sa sincérité, qu’elle se persuade une fois de plus qu’il la choisira elle, et seulement elle. Naïvement, elle pense que tout le monde veut mener une vie honnête. Ce roman se penche sur la place occupée par la « maîtresse » dans notre culture et ses interactions avec l’institution du mariage, s’attaquant au pouvoir banal et sordide de l’offre et de la demande sur le marché de l’amour.

Page — Avec Ester ou la passion pure vous avez reçu le prix August. Quelle est votre vision du monde littéraire suédois ?
L. A. — Je n’en ai pas vraiment. Je n’ai pas de rapports avec les autres écrivains. J’essaie juste d’écrire ce que j’ai à écrire et de faire ce en quoi je crois. Le monde littéraire suédois ressemble peut-être au monde intellectuel suédois en général. Il est poli et politiquement « progressiste ». Il est bien intentionné et craint perpétuellement d’offenser tous les groupes d’individus, à l’exception de ceux considérés comme privilégiés. Pour résumer : le monde littéraire suédois est prudent. À quelques exceptions près, bien sûr.

Page — Avez-vous été surprise de l’engouement qu’a suscité votre roman ?
L. A. — Très, très, très surprise. Je n’avais jamais soupçonné que d’autres personnes, et un si grand nombre, étaient autant intéressées par ce sujet.

Page — En tant que femme et écrivain, quelle sont vos influences littéraires ?
L. A. — En tant que femme, je ne sais pas. Mais en tant qu’écrivain, j’ai été influencée par des livres tels que L’Étranger de Camus, Vers l’âge d’homme de J.M. Coetzee, Jane Eyre de Charlotte Brontë et toute une série d’auteurs qui ne sont pas internationalement connus. Camus et Coetzee m’ont principalement influencée à travers le style et la tonalité de leur écriture. Brontë, en écrivant sur l’amour absolument sincère, un sujet véritablement difficile à traiter.

Page — Quel roman français contemporain vous a le plus marquée ces dernières années, et pourquoi ?
L. A. — Je n’ai pas lu beaucoup d’écrivains français contemporains, mais les écrivains français des Lumières sont mes héros. Je suis aussi intriguée par des écrivains tels que Michel Foucault et Claude Lévi-Strauss, même si je pense qu’ils ne sont pas sur la bonne voie.