Bande dessinée

Pascal Rabaté

L’orfèvre du bas-côté

photo libraire

L'entretien par François-Jean Goudeau

Etablissement Scolaire ESTHUA - Université d'Angers (Angers)

Après trois années de présence remarquée derrière la caméra et d’absence regrettée sur les planches de bandes dessinées, Pascal Rabaté revient enfin à ses premières amours (en compagnie de Simon Hureau) avec Crève saucisse, qui sort en ce premier mois de l’année. Entretien avec ce maître indispensable du « grinçant tragique ».

Didier est un boucher de province qui aime son métier et sa clientèle, un père attentif et affectueux, un amateur éclairé de bandes dessinées, un époux dévoué et sensible… Mais il est cocu ! Il s’accommode assez mal – comment, toutefois, lui en tenir rigueur ? – de cet ingrat statut, ruminant sa revanche dans son laboratoire comme devant les linéaires de sa bibliothèque. Cette dernière lui offrira incidemment la recette du crime parfait, par l’entremise de la (re)lecture de La Voiture immergée, célèbre épisode de la série des Gil Jourdan, où le meurtre s’exécute à la marée montante. Aussi ne tarde-t-il pas à dérouler son plan méphistophélique, de l’invitation à Noirmoutier du couple Laurence/Éric (le « porc » ou plutôt le « ténia, parce que dans le cochon, tout est bon ! »), jusqu’à l’homicide, à la mise en scène impeccable, de celui qui fut son ami avant d’être l’amant de sa femme. Fin observateur et amuseur des mœurs contemporaines, Pascal Rabaté nous revient enfin : savourez !

Page — Gil Jourdan, Clowes, Hergé, Commissaire Toumi, Planchon, Crumb, Griffu, Blutch, Baudouin… Votre nouveau livre est un chant d’amour à l’art séquentiel : est-ce pour mieux vous faire pardonner votre coupable et exclusive idylle avec le 7e Art  !?
Pascal Rabaté — Mais je n’ai rien à me faire pardonner ! J’avoue, en revanche, que le dessin et l’heureuse solitude qui l’accompagne me manquaient, d’autant plus que le cinéma m’accaparait complètement et ne me permettait plus cette alternance (entre réalisations filmiques et BD) dont j’ai désormais besoin : le plaisir de la diversité et de l’instant. J’ai également pris conscience que certaines choses sont impossibles au cinéma. C’est donc et surtout un hommage appuyé à la bande dessinée.

Page — Hommage, en particulier, à La Voiture immergée (publié dans le journal Spirou en 1958 et 1959), le chef-d’œuvre de Maurice Tillieux. Pourquoi avoir choisi d’articuler votre scénario autour de ce titre « historique » ?
P. R. — J’ai toujours aimé cette aventure de Gil Jourdan (même si je reconnais que quelques saillies de Libellule ont bien vieilli !), les enquêtes et le découpage de Tillieux étant des plus remarquables. Et je ne suis pas le seul puisque Boileau-Narcejac eux-mêmes avaient précédemment pillé ce titre en écrivant Maléfices (1961), adapté l’année suivante par Henri Decoin pour les salles obscures ! Aussi, j’ai voulu écrire une bande dessinée qui rendrait justice à l’œuvre originelle… une bande dessinée elle aussi ! Seulement, je traînais dans mes tiroirs cette histoire criminelle ayant pour décor le passage du Gois depuis une quinzaine d’années. Il aura fallu la rencontre avec Simon (Hureau) – non pas parce qu’il est de la profession, mais parce qu’il était le voisin de ma mère à Langeais, en Touraine – et son enthousiasme à mettre en images ce Crève saucisse, pour que ce polar (pensé initialement au format manga !) prenne finalement vie.

Page — Vous n’aviez pas l’envie de le mettre en scène vous-même ?
P. R. — En fait, j’avais avant tout envie de collaborer avec lui. Car j’apprécie beaucoup son travail (notamment Tout doit disparaître (Futuropolis) et Intrus à l’étrange (La Boîte à bulles), prix du Polar Angoulême 2012) : il va à l’essentiel tout en réussissant à préserver les détails. Et puis, c’est toujours salutaire d’apporter un nouvel éclairage à un récit ; quand il t’échappe, cela te permet de l’observer sous un autre angle et de savourer les libertés qu’il recèle, dont celle du clin d’œil à mon deuxième long-métrage, Ni à vendre, ni à louer [second long-métrage de Pascal Rabaté sorti l’an dernier ; le premier avait pour titre Les Petits Ruisseaux, adapté de la BD du même nom – NDLR], à la page 44 de l’album !

Page — Quoi qu’il en soit, c’est une réussite ! Et tout l’univers de Rabaté est là : la face à la fois sombre et risible de la France « tradi », de celle qui disparaît, de celle du « petit artisan bedonnant ». À ce propos, vous auriez pu réserver un meilleur sort à votre boucher anti-héros qui, s’il est un meurtrier, n’en reste pas moins un bédéphile au goût sûr, un bon père, un être sociable qui montre une belle – et morbide, certes ! – imagination apte à créer une réelle empathie avec le lecteur.
P. R. — Vous n’avez pas tort. Mais j’ai un mauvais fond et il n’avait qu’à mieux ranger sa bibliothèque ! Il aura appris à ses dépends que le crime ne paie jamais et que j’ai besoin (au moins, une histoire sur deux) de détruire mes héros sympathiques !

Page — Quels sont vos autres projets pour 2013 ?
P. R. — Ils sont nombreux ! Parallèlement à cet ouvrage est réédité chez Futuropolis, Bienvenue à Joburg, paru en 2003 au Seuil. Suivront au printemps la suite de Tartines de Courant d’air (Biscottes dans le vent chez Vents d’Ouest, illustré par Bibeur Lu) et Le Petit Garçon qui rêvait d’étoiles (éditions 12bis), autour du grand chef cuisinier Yannick Alleno. Plus tard, Fenêtre sur rue chez Soleil ouvrira une nouvelle collection de livre-objet, ce titre étant un hommage sous forme de bande dessinée à un très célèbre film d’Alfred Hitchcock (je vous laisse deviner lequel !) Enfin, le tournage de mon troisième long-métrage, Du goudron et des plumes, débutera mi-avril et sera une sorte de spin-off du Petit rien tout neuf avec un ventre jaune (publié chez Futuropolis en 2009). 7e et 9e arts : les deux participent à merveille à mon déséquilibre !