Littérature étrangère

« Eh bien, dit la femme, si tu ne veux pas être roi moi je veux l’être »

photo libraire

Par Mélanie Le Loupp

Virginia Woolf intègre La Pléiade. Un événement pour la collection qui accueille de nouveau une femme (peu de temps après Marguerite Duras). Deux volumes rendent hommage à l’écrivain britannique. Une sélection chronologique de ses plus grands romans et nouvelles dans de nouvelles traductions, dont l’inédit Lundi ou mardi.

Un bon écrivain sait « inventer les moyens d’exprimer librement ce qu’il veut exprimer » disait Virginia Woolf dans Une pièce bien à soi. Exprimer ce qu’il y avait au plus profond d’elle-même fut pour Virginia Woolf le travail de toute une vie. Jusqu’à s’être vidée de toute substance, de tout espoir, de tout désir, de sa sève. Il y a exactement soixante-dix ans, Virginia se plombait les poches de pierres et s’immergeait dans la rivière. Un acte chaotique. Pourtant, nous sommes loin de penser que son travail fut quant à lui chaotique. Virginia Woolf n’a eu de cesse de chercher à ériger un style totalement personnel. Certes, nous pouvons sentir les connivences avec ses compatriotes Charlotte Brontë et Jane Austen, mais c’est aussi dans l’écriture de Marcel Proust et l’emphase de William Shakespeare que nous décelons des modèles. « Je crois bien que je vais trouver un nouveau nom pour mes livres pour remplacer “ roman ”. Un nouveau… de Virginia Woolf. Mais quoi ? Élégie ? » Virginia Woolf s’essayait frénétiquement à disséquer le monde qui l’entourait et à en extraire sa substance, comme dans Mrs Dalloway, roman où l’écrivain livre une vision vibrante du microcosme bourgeois britannique. La lenteur des fragments narratifs se transmet de personnage en personnage, un peu comme dans une course de relais, et permet au lecteur d’avoir un point de vue global. « On pouvait observer, on pouvait comprendre et on ne perdait pas pour autant le pouvoir de ressentir ». Virginia Woolf tendait à restituer au plus près la véracité d’un instant. La notion d’espace-temps a eu dès lors une importance primordiale pour l’auteur des Vagues, car elle insuffle une alternance entre la profondeur et la légèreté, les sensations et les souvenirs. Le cercle narratif dans lequel elle a pris le parti de définir son style se caractérise par une fluidité d’écriture et une abondance de sensations. Ainsi, les flâneries de ses personnages lui offrent la possibilité de travailler à une complexité narrative. Les mots et les émotions qu’elle étudie sont de l’ordre d’une perpétuelle quête de la perception de la fuite du temps. Certes, l’absence d’un unique narrateur déstabilise le lecteur, mais ce dernier est en même temps envoûté par la musique que l’auteur compose pour lui. Les longs monologues qui sont la marque du style de l’auteur relèvent du poème ; le Moi se dresse face à la communauté. De ce fait, l’enfermement narratif élaboré à partir des monologues ne biaisent absolument pas les repères, offrant au contraire de dresser touche par touche, c’est-à-dire émotion par émotion, voire pensée par pensée, un tableau un peu pointilliste. Et ce tableau devient une œuvre, un livre, un roman, une élégie pleine de vie. Alors honorons les textes de Virginia Woolf ! Que le lecteur les découvre ou les redécouvre, « car qui le blâmera s’il rend hommage à la beauté du monde ? »