Pour quelles raisons avez-vous adopté Dracula pour les enfants ?
Charlotte Gastaut La réponse ne va pas forcément vous plaire : je l’ai fait pour moi ! J’ai toujours été fascinée par ce mythe. Et je suis complètement amoureuse du Dracula de Coppola. Cette histoire d’amour, avec son esthétique fantastique unique, me captive. David Laforgue et Bénédicte Roux, chez Flammarion, m’ont demandé il y a deux ans ce que je voulais illustrer pour mon prochain livre. Mon vrai désir. Je venais de guérir d’un cancer du sein et la mort avait été un sujet pendant quelque temps. Elle me chatouillait encore un peu. À la même époque, ma mère était très malade. Je voyais mon père se débattre pour elle, sa tristesse. Je voulais parler d’un amour qui n’ait pas peur de la mort. Dracula devint alors une évidence. Il me fallait en faire en conte pour toute la famille, en faire un sujet très émouvant qui fait réfléchir sur la transmission, qui intrigue. J’espère que les enfants auront de nombreuses questions à poser à leurs parents en fermant ce livre.
La métaphore du fil est très présente dans votre album. Est-ce pour cela que vous avez fait de Dracula un couturier ? Et plus particulièrement celle du fil rouge qu'on retrouve tout le long du livre, sous différentes formes mais toujours avec la même symbolique.
C. G. Non, le fil est apparu parce que justement mon Dracula était couturier. Ce livre réunit tout ce que j’aime : l’amour de mes parents et l’amour de la couture. Associer le simple fil du couturier au fil des trois Parques de la mythologie me semblait assez amusant : elles coupent le fil de la vie mais lui est éternel, son fil est incassable. Et puis, c’est aussi le fil rouge du destin, une légende japonaise qui prétend que le destin de chaque personne est lié à celui d’une autre par un fil rouge invisible. On ne pouvait rêver mieux pour réunir Dracula et Mina ! Hémoglobine oblige, il est évidemment rouge !
Vos illustrations alternent des planches très colorées avec des noir et blanc rehaussé de rouge vif. Quels effets avez-vous voulu créer ?
C. G. Au départ, je voulais utiliser uniquement ces trois couleurs. Mais comme il fallait que la vie soit présente, puisque c’est le sujet principal du livre, il fallait que toutes les couleurs soient présentes. Elles sont parfois presque criardes mais je les voulais vraiment intenses. Comme dans un film. Les images en noir et blanc m’ont permis d’être plus délicate. Elles calment le jeu et rendent le livre intemporel, comme Dracula.
Votre style est foisonnant de détails, vous utilisez une palette de couleurs extrêmement variées. Pensez-vous vos illustrations comme un tableau ou un décor de cinéma ?
C. G. Ma manière de travailler est très instinctive. Je me demande même si je n’y ai jamais réfléchi. En fait je crois que j’ai dessiné ce livre comme une comédie musicale. J’ai réuni pendant deux ans des heures de musiques, celles que Dracula aurait pu écouter, seul, triste, en s’ennuyant, avec Mina, heureux, en travaillant… Toutes les images ont été dessinées en musique, ça c’est certain !
Le temps passe, rythmé par les saisons, les collections, l'amour. Mina arrive à la fin de sa vie, le fil rouge pourrait être rompu sauf si... Pourquoi avoir choisi cette fin ?
C. G. Parce que j’ai toujours été terrifiée à l’idée de cette éternité que Dracula traverse. L’immortalité est un vrai cauchemar : survivre à tout, à ceux qu’on aime, au temps qui passe, quelle horreur ! Choisir de vivre, pour lui, doit obligatoirement passer par la mort. Sinon, ce n’est plus une vie. On sait que Dracula a été maudit lorsqu’il a perdu son premier amour. Il ne peut pas revivre cette douleur. Cette solitude. Il choisit d’accompagner Mina. D’être mortel, comme elle. Il choisit donc la vie et le fil n’est pas rompu.
Fatigué d'être craint et détesté depuis des générations, Dracula s'est réinventé couturier par goût des beaux costumes. Il va, par sa profession, rencontrer une jeune journaliste, Mina, dont il va tomber éperdument amoureux. Ensemble, ils vont tisser une relation, une vie remplie d'amour, de mode, rythmée par les différentes saisons, jusqu'à l'ultime défilé. Au travers d'illustrations magnifiques et richement détaillées, aux couleurs chatoyantes, mais aussi d’autres en noir et blanc simplement rehaussées d’un fil rouge, Charlotte Gastaut nous invite dans son univers plein de délicatesse. Au fil des pages, nous suivons la vie de ces deux amoureux pour qui le temps passe trop vite.