Littérature étrangère

Hafez Khiyavi

Une cerise pour couper le jeûne

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photo libraire

Chronique de Patrick De Sinety

Pigiste ()

Écrire en Iran, c’est aller au-devant d’innombrables tracasseries, inutile d’y revenir, tout le monde le sait. Pourtant, l’effervescence des lettres persanes, sans doute la littérature la plus débridée et la plus inventive du monde musulman, ne s’est jamais émoussée.

L’une des causes de cette vitalité tient aux télescopages féconds de la littérature, de la poésie, de la pensée politique et de la ferveur révolutionnaire (deux passions iraniennes) ou, plus spécialement encore, du cinéma… À des degrés divers, l’écriture de Hafez Khiyavi – admirablement restituée par la traduction – est innervée par le langage cinématographique. La plupart des sept récits reproduits dans Une cerise pour couper le jeûne, brefs, nerveux, portés par une dynamique très visuelle et par ailleurs largement scandaleux dans l’Iran théocratique, ce qui n’a pas empêché le recueil de recevoir succès public et gratifications, mettent en scène des personnages d’enfants, dont le regard sur ce qui les entoure permet évidemment de faire passer des choses qui, dans la bouche d’un adulte, finiraient déchiquetées sous les ciseaux de la censure. Contourner les interdits par la voie de le l’enfance connaît une indéniable fortune en Iran, dans le cinéma d’Abbas Kiarostami et chez quantité d’écrivains, mais le procédé, qui se conjugue chez Khiyavi au rythme cinématographique, se traduit par des effets comiques, des insolences, une émouvante candeur évoquant un François Truffaut sous perfusion iranienne. Le Colonel appartient à la veine naturaliste qui caractérise l’œuvre de Mahmoud Dowlatabadi et une frange de la littérature persane particulièrement en faveur avant la révolution. Le lecteur ne rira pas, comme il lui arrive de se surprendre à le faire en lisant les nouvelles de Khiyavi, au récit de cette fresque à la fois intimiste et historique de l’Iran des années 1970-1980. Le roman décrit cette période charnière où convergent fureurs religieuse, monarchiste et guerrière – avec l’éclatement de la guerre contre l’Irak – à travers les malheurs d’un père accablé par la perte de ses fils et de sa fille, meurtri par la folie du troisième et rongé par la culpabilité depuis qu’il a tué sa femme adultère mais adorée. Que cette description, certes plombée, n’arrête pas le lecteur, ce texte est une splendeur.