Littérature étrangère

Edward Limonov

L’excité dans le monde des fous tranquilles

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photo libraire

Chronique de Patrick De Sinety

Pigiste ()

Un Russe, un Américain, deux façons d’envisager le journalisme,
 l’une comme l’autre aux antipodes des conceptions traditionnelles 
de la discipline, versées dans la polémique, la mauvaise foi et 
l’inventivité narrative. 


À partir du milieu des années 1980, Edward Limonov a fréquenté une confrérie incertaine composée d’esprits aux aspirations fluctuantes, qui cultivait l’insoumission comme une science ou l’un des beaux-arts. Réunie en 1989 à la faveur de la résurrection de L’Idiot international, cette féconde amicale de francs-tireurs où l’on trouvait, au hasard, Marc-Édouard Nabe, Jacques Vergès, Michel Houellebecq, Patrick Besson, etc., œuvra durant quelques années au dézinguage de l’establishment mitterrandien, sous le regard saurien du patron Jean-Edern Hallier. Edward Limonov, réfugié en Occident depuis 1974, apporta une petite touche internationale au journal, qu’il se mit à alimenter en articles qui prenaient le contre-pied systématique de l’unanime allégresse suscitée par l’effondrement de l’Union soviétique. Lui y voyait un nouvel indice de la lente décrépitude du dernier empire digne de considération, et s’en affligeait dans des textes dont ce volume, qui reproduit ceux parus dans L’Idiot international, donne un savoureux aperçu. 


Aussi peu porté que son collègue russe à établir une distinction entre littérature et journalisme, l’Américain Hunter S. Thompson est l’inventeur d’un type de reportage où la subjectivité littéraire tient la dragée haute aux austères carcans de la rigueur journalistique. Le théoricien survolté du gonzo journalisme, dont Tristram s’est lancé dans la publication de l’ensemble de l’œuvre (cinq volumes), s’inspire des expériences de la Beat Generation pour transformer ce qui relève du contenu ordinaire de la presse – la couverture des primaires démocrates de 1972, par exemple – en matière narrative très vivante, visuelle, truffée d’anecdotes connexes, de faits avérés ou pas, d’intuitions bizarres et de considérations personnelles, dont le rythme semble reproduire les mouvements violents d’une pensée sous speed intensif. Et pourtant, fondamentalement, c’est de l’information. Et de la littérature.