Essais

Olivier Larizza

La Querelle des livres

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photo libraire

Chronique de Olatz Mundaka

Pigiste ()

En ces temps d’inquiétudes face aux mutations qui bouleversent l’économie du livre, trois ouvrages de nature très différente viennent opportunément réinscrire cette question dans un contexte plus large : celui de la crise générale des savoirs et de l’éducation.

« Que deviendra le désir de livre dans la civilisation du numérique » ? Voilà la question à l’origine du court essai d’Olivier Larizza qui paraît ces jours-ci chez Buchet-Chastel, La querelle des livres. Reconnaissons d’abord à son auteur le louable souci d’éviter tout positionnement dogmatique a priori. Ni livre à charge contre le numérique, ni plaidoyer béat pour le monde qui vient, cet essai se veut une enquête argumentée des mérites et défauts des différents supports : papier contre tablette. Et les résultats ne sont pas forcément en faveur de cette dernière. Les critères écologiques, économiques, celui de la fiabilité des textes et des sources, donnent (pour l’instant ?) tous raison aux tenants du livre papier. Reste que l’auteur est trop honnête pour ne pas ignorer la part de « romantisme » qui détermine son jugement. Nourris dès notre plus jeune âge par la présence quotidienne de volumes de papier, nous investissons en eux émotions, souvenirs et impressions dont il n’est pas dit qu’ils soient encore actifs pour celles et ceux qui n’auront connu que les sortilèges des écrans et du virtuel. Le passage du « monde du papier » au « monde sur l’écran » est en effet intimement lié à la profonde crise qui affecte nos sociétés, celle de l’éducation et de la transmission des savoirs – savoirs fondamentaux, mais aussi savoirs pratiques et savoir-vivre –, celle des institutions et dispositifs qui en assuraient la continuité, c’est-à-dire l’école, l’université, les relations intergénérationnelles. Ces questions sont depuis longtemps au cœur de l’œuvre philosophique de Bernard Stiegler, dont paraissent aujourd’hui un essai théorique important, États de choc, ainsi que les actes d’une conversation menée sur le long terme avec le philosophe Denis Kambouchner et le pédagogue Philippe Meirieu, L’école, le numérique et la société qui vient. Refusant de diaboliser le support et de prendre parti pour le papier contre le numérique – ou l’inverse –, ces deux livres complémentaires dénoncent la coûteuse incapacité des savants et des politiques à interroger correctement la technique et ses révolutions technologiques, alors même que la finance internationale et ses laquais du marketing ont su depuis longtemps en faire les moteurs de la prédation généralisée d’un capitalisme pulsionnel, avide et destructeur. Le monde est désormais livré au règne de la bêtise, une bêtise qui n’est pas l’ennemie du savoir, mais son ombre. Et nous savons depuis Adorno et Horkheimer que la rationalisation qui caractérise les sociétés industrielles et post-industrielles conduit aussi à la régression de la raison. Face à la prolétarisation généralisée qui n’épargne personne, Bernard Stiegler en appelle à la responsabilité de l’Université, une université qui n’aurait plus peur d’interroger la technique ni d’utiliser ses dispositifs et pratiques, une université capable de se ressaisir de la question du cosmopolitisme et de mettre en place les protocoles d’une recherche contributive… Une université à la hauteur des enjeux de notre temps.