Essais

Charlotte Delbo

Une connaissance inutile

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Chronique de Delphine Demoures

Librairie des Halles (Niort)

Charlotte Delbo était la secrétaire de Louis Jouvet lorsqu’elle a décidé de quitter le théâtre pour s’engager dans la Résistance. Arrêtée en 1942, elle sera déportée à Auschwitz en janvier 1943 et elle restera vingt-sept mois en déportation. À son retour, elle écrit dans l’urgence Aucun de nous ne reviendra.

« Il est une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui partent / une gare où ceux qui arrivent ne sont jamais arrivés, où ceux qui sont partis ne sont jamais revenus. C’est la plus grande gare du monde. » La trilogie d’Auschwitz et après (Aucun de nous ne reviendra, Une connaissance inutile et Mesure de nos jours), l’œuvre sublime et déchirante de Charlotte Delbo, paraît en deux volumes dans la collection de poche des éditions de Minuit. L’occasion idéale pour découvrir ou redécouvrir cette voix singulière et essentielle de la littérature du XXe siècle, pour ne jamais oublier l’horreur des camps de concentration. Témoin des heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité, Charlotte Delbo sera envoyée à Auschwitz, avec 230 femmes résistantes, dans un wagon à bestiaux rendu célèbre par l’un de ses livres Le Convoi du 24 janvier. Elle composera les 230 biographies des Françaises qui formaient ce tragique et funèbre convoi : seulement quarante-neuf d’entre elles survécurent. Comment décrire l’indicible ? Comment trouver les mots pour traduire l’inimaginable ? Comment exorciser la souffrance et la mort ? « Ici, en dehors du temps, sous le soleil d’avant la création, les yeux pâlissent. Les yeux s’éteignent. Les lèvres meurent. Toutes les paroles sont depuis longtemps flétries/ Tous les mots sont depuis longtemps décolorés. » Charlotte Delbo gardera pendant vingt ans le manuscrit d’Aucun de nous ne reviendra, l’emportant partout avec elle sans pouvoir se décider à le faire publier. Sa langue nous touche au plus profond de nous-mêmes : ses mots résonnent, se diffusent et s’inscrivent en nous de manière indélébile. « Vous ne pouvez pas comprendre / vous qui n’avez pas écouté / battre le cœur / de celui qui va mourir. » Une écriture sans misérabilisme ni voyeurisme. Avec pudeur et justesse, elle donne à voir et à sentir. Elle donne corps aux mots, elle incarne la douleur. Une langue à la fois sobre, dense et poétique, qui marque à jamais son lecteur. Par l’écriture, Charlotte Delbo témoignera sa vie durant de la solidarité qui a permis aux déportées de tenir et pour certaines de survivre. Dans toute son œuvre – en prose ou en vers –, elle dit et célèbre le courage de ces femmes. Militante passionnée des droits de l’homme, elle ne cessera plus de combattre les injustices. Une œuvre bouleversante et puissante, d’une beauté sidérante, une voix obsédante qui nous imprègne à jamais. « Aucun de nous n’aurait dû revenir. » Un véritable objet de littérature et d’Histoire.

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