Beaux livres

Annie Le Brun

Sade

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Chronique de Charlène Busalli

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À l’occasion du bicentenaire de la mort de Donatien Alphonse François de Sade, le marquis revient sur le devant de la scène littéraire à travers de nombreuses publications qui lui sont consacrées. Des ouvrages qui permettent de découvrir l’héritage de la pensée sadienne sur les deux siècles passés.

Après la perte de plusieurs manuscrits lorsqu’il fut arrêté, après que son fils Claude-Armand a fait brûler tous les écrits qu’il a pu trouver, après que Jean-Jacques Pauvert a subi un procès pour l’avoir publié, le marquis de Sade finit par atteindre la consécration en 1990 avec son entrée dans la Pléiade. Aujourd’hui, les éditions Gallimard récidivent avec la parution d’une Pléiade à tirage limité, Justine et autres romans. Ce volume collector constitue une bonne introduction à l’œuvre sadienne, car elle contient trois textes essentiels de l’auteur : Les Cent Vingt Journées de Sodome (1785), Justine (1791) et La Philosophie dans le boudoir (1795). Ceux-ci ont été relus et mis à jour d’après les textes parus dans les trois volumes de la Pléiade en 1990, 1995 et 1998. L’appareil critique qui les accompagne permet d’aller plus loin avec une chronologie, une bibliographie conséquente et des annotations, mais aussi une préface très intéressante de Michel Delon, qui offre une rétrospective des publications de Sade et de leur réception au fil des deux derniers siècles. Le volume contient enfin les splendides gravures qui illustraient les premières éditions de Justine. Cette nouvelle Pléiade consacrée à Sade est donc une bonne occasion de connaître « l’effet de sidération qui constitue la première expérience de la plupart de ses lecteurs », pour reprendre les mots de Michel Delon. Les éditions Gallimard publient également le catalogue de l’exposition Sade. Attaquer le soleil, qui se tient au musée d’Orsay jusqu’au 25 janvier 2015, sous le commissariat d’Annie Le Brun. Ce très bel ouvrage montre l’influence qu’a eue la pensée sadienne sur l’art, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture ou encore de photographie. Les œuvres de Goya, Rodin, Picasso et bien d’autres, côtoient un texte passionnant d’Annie Le Brun, expliquant que l’héritage de Sade a surtout été d’« inciter à montrer ce qu’on ne peut pas dire ». L’œuvre sadienne pose en effet la question de la représentation, celle du corps, celle du désir et celle de la cruauté qui l’accompagne. Les surréalistes, parmi lesquels Man Ray ou Max Ernst, sont peut-être ceux qui ont été le plus fortement influencés par Sade dans leurs représentations de l’imaginaire sexuel. Dans ce superbe ouvrage, les œuvres d’art sont astucieusement juxtaposées à des citations de Sade, mais aussi à celles d’auteurs qu’il a fascinés, comme Baudelaire ou Flaubert, ou dont les écrits entrent en résonance avec la pensée sadienne, à l’instar de Nietzsche. Ce livre est sans aucun doute un très bel hommage à « celui qui aura continuellement ramené au défi de représenter l’irreprésentable ». Un autre beau livre dédié au marquis paraît en cette fin d’année : Sade ; un athée en amour (Albin Michel). Sous la direction de Michel Delon, on peut y lire plusieurs essais qui interrogent divers aspects de la vie du marquis, des vingt-sept années qu’il a passées en prison, à sa passion pour le théâtre, en passant par ses voyages en Italie. Le livre contient également de nombreux documents, dont les illustrations originales de La Nouvelle Justine et de Histoire de Juliette, des fac-similés de manuscrits et des objets de collection, parmi lesquels de nombreux inédits. Cet ouvrage ravira donc particulièrement les connaisseurs de Sade, qui pourront y faire de nouvelles découvertes. À noter enfin, les éditions Textuel republient le coffret en deux volumes Les Vies de Sade de Michel Delon, initialement paru en 2007. Le premier volume comprend deux essais illustrés ; le premier est un essai biographique intitulé Sade en son temps, tandis que le second retrace les péripéties éditoriales et l’héritage de l’œuvre sadienne jusqu’à nos jours sous le titre Sade après Sade. Le second volume intitulé Sade au travail contient quant à lui deux cahiers de prison en fac-similé commentés, constituant une manière intéressante de découvrir le processus d’écriture du grand écrivain. Peu de gens ignorent qui fut le marquis de Sade, ne serait-ce que parce que son nom fait partie du langage courant depuis que le terme sadisme a été lexicalisé en 1834. Cependant, ceux qui l’ont lu sont beaucoup moins nombreux. Tous ces beaux ouvrages sont donc autant de prétextes à se replonger dans une œuvre toujours aussi fascinante. Car, comme le dit si bien Michel Delon : « Sade incarne un principe d’inquiétude et de dérangement qui nous oblige à le relire et à nous demander ce que lire veut dire. »

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