Polar

Eoin McNamee

Orchid Blue

illustration
photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Irlande du Nord, janvier 1961, le corps d’une jeune femme est découvert dans un champ de chaumes au lendemain d’un bal dans une salle paroissiale, le Newry Orange Hall. Nue, battue, Pearl Gamble a été étranglée et poignardée à de nombreuses reprises – sept fois exactement. Elle avait 19 ans.

Les policiers n’ont aucune preuve probante, mais toute la ville est convaincue que l’assassin est un jeune culturiste, un bon à rien nommé Robert McGladdery. En dépit des efforts déployés par l’inspecteur Eddie McCrink, natif de la région et toute juste revenu de Londres après l’échec d’une enquête sur une série d’assassinats, tout le monde semble déterminé à ce que le tueur soit pendu. McCrink commence à douter des divers témoignages et des motivations qui animent ses collègues et ses supérieurs. Un habitant lui déclare en substance : « Vous ne trouverez jamais ce qui s’est passé cette nuit-là… C’est l’affaire de la ville et la ville saura prendre soin d’elle. » Prendre soin d’elle, dans ce cas, signifie beaucoup de choses : brutalité policière, témoignages douteux, manœuvres politiques et ingérence diverses. McCrink est persuadé que la recherche de preuves solides est la solution à un procès équitable. Mais le cas de « ce coupable idéal » va se compliquer encore un peu plus avec l’arrivée du juge Lance Curran chargé de présider le procès. Sa propre fille, Patricia, a été assassinée dans des circonstances similaires quelques années auparavant. Le meurtre de Patricia Curran a d’ailleurs été relaté par l’auteur dans un précédent roman, Le Tango bleu (Gallimard, 2003). Entre Le Tango bleu et Orchid Blue, le même procédé narratif et une faculté vertigineuse à mélanger réalité et enquête fictive afin de décrire les turpitudes d’un processus judiciaire lié à un meurtre extrêmement médiatisé. McNamee sait également se servir d’un détail, en apparence mineur, pour nous ancrer encore un peu plus dans la réalité des personnages : une chanson, un vêtement, un roman policier de poche aux pages cornées, quelques pièces de monnaie dérobées dans un sac. Le roman oscille sans cesse entre cette part de réalité tangible et le fantasme d’une population qui se crée son propre imaginaire, son folklore. Parce que nous sommes en Irlande, le procès et les peurs qu’il suscite donnent lieu à une véritable chasse aux sorcières. Et peu importe les circonstances ou les faits, l’important est de croire, de se persuader qu’on possède la vérité. Une des forces d’Orchid Blue est de montrer les rouages d’une société où les classes populaires et les laissés-pour-compte ont enfin la possibilité de trouver une place et un rôle dans l’histoire en marche. Aidés par les classes dirigeantes, l’administration, la police et les journalistes, ce peuple de l’ombre reconstitue les circonstances du crime, du moins celles qui arrangent le plus grand nombre. Orchid Blue commence comme un roman policier qui suivrait une trame judiciaire passionnante et se poursuit sur une réflexion politique et sociale sur la lutte des classes et les tentations qui conduisent un groupe humain, une communauté, à trouver un bouc émissaire face à ce qu’elle ne peut expliquer. C’est amer et profondément tragique. Toute la puissance du roman tient dans ce parfait équilibre.

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