Jeunesse

Séverine Vidal

Nestor

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photo libraire

Chronique de Enrica Foures

Librairie Lafolye & La Sadel (Vannes)

Sus à l’éternel combat bande dessinée versus littérature ! La BD se donne des allures de roman, le roman s’immisce entre les bulles – à moins que ce ne soit l’inverse. Le mot d’ordre ? À bas les frontières, vive la lecture !

Désuète la classique bande dessinée franco-belge et son grand format standard cartonné, 48 pages ? Au placard, les Tintin, Lou et Astérix ? Bien sûr que non, mais ce format a ses limites. Nombre de pages restreint, taille encombrante… Le public et les éditeurs ont bien compris qu’il y avait la place pour une « autre » bande dessinée. Une bande dessinée dont le nombre de pages ne serait pas fixe, avec un format plus pratique et moins rigide qui permettrait d’en emporter dans sa valise et d’en lire partout. Petite révolution, les petits et moyens formats qui avaient déjà envahi depuis quelques années les rayonnages de bandes dessinées « pour les grands » s’invitent de plus en plus régulièrement dans le secteur jeunesse, suivant ainsi le chemin tracé par les précurseurs Tom-Tom et Nana, série publiée chez Bayard. Cet éditeur ne s’y est pas trompé en tentant de passer quelques-unes de ses bandes dessinées pour enfants au « format roman » (16x20, couverture souple) dès 2009 (Ariol, Tralaland, Tao...) Devant le succès de cette tentative, Bayard et Milan fusionnent et regroupent leurs titres respectifs de bande dessinée pour créer une grande collection commune : « BD Kids » naît de cette union en mars 2011. Des livres agréables à manipuler, faciles à transporter, cette collection plaît et s’enrichit jusqu’à dépasser aujourd’hui la centaine de titres. On y trouve tous les genres (humour, mythologie, policier…), des gags ou des histoires longues. Ainsi, les deux derniers titres, Karton et Helmout, sont-ils très différents. Karton de Patrick Wirbeleit et Uwe Heidschötter raconte la rencontre originale entre un carton magique et un jeune garçon. C’est amusant : le carton parle, est plein de bonne volonté bien que maladroit. Mais il y a un hic, les adultes qui l’aperçoivent plongent directement dans un profond sommeil. Mattis doit alors retrouver le magicien propriétaire du carton pour lever la malédiction et sauver ses parents. Helmout de Christophe Amalric et Bruno Madaule, c’est un peu la cour de récré chez les dinosaures. Les gags en une page s’enchaînent, nous faisant partager les petits bonheurs et les mésaventures d’une bande de copains préhistoriques. Entre Helmout le tyrannosaure, Diego le ptérosaure et souffre-douleur, Jean-Pierre le diplodocus et la petite sœur d’Helmout, Yumi, les saisons passent et on ne s’ennuie pas une seconde ! L’éditeur Didier Jeunesse a lui aussi décidé de relooker et de développer son catalogue BD. Ainsi La Famille Glagla et l’hilarant Tétine Man se voient réédités en début d’année dans un nouveau format souple, tandis qu’une nouvelle collection de comics humoristiques pour les petits, « Balloon Toons », voit le jour en mars 2013. Le dernier titre, Adopte un Glurb ! de la Canadienne Élise Gravel, est un guide pratique qui fournit toutes les pistes pour bien élever et comprendre son Glurb. Indispensable ! Dans le même temps arrivent deux titres dans la collection de BD souples. Andy ! de Maxwell Eaton III met en scène un crocodile affublé d’un compère coyote aussi bavard que collant. Éminemment visuelle et d’un humour à la limite de l’absurde, cette petite BD très drôle est accessible dès 6 ans. Dans Nestor, maudits mercredis de Séverine Vidal et Marc Lizano, un petit garçon a pour mission de se trouver une activité pour occuper sa journée libre. Mais ni le sport, ni les loisirs créatifs ne semblent être le fort du pauvre Nestor… Chaque test d’un nouveau hobby est l’occasion d’une histoire courte et d’une bonne tranche de rigolade ! « BD Kids » n’a pas fait qu’ouvrir la voie à la BD jeunesse en format souple. Rééditant un titre précédemment paru en cartonné sous jaquette, la collection a également lancé, avec Théodore – devenu Le Mont des Brumes –, magnifique série d’aventure, de science-fiction et de poésie, puis avec Scarlett, la vogue des ouvrages mêlant bande dessinée et roman. De quoi réconcilier les parents qui souhaitent que leurs enfants lisent des livres « avec du texte » et les petits férus de bande dessinée ! Le principe fonctionne très bien, les deux genres se complétant à merveille. Avec ce concept ludique, les enfants un peu réticents aux romans prennent confiance en leur aptitude à lire du texte et à apprécier cette lecture. Cette fois, c’est Hachette Jeunesse qui s’engouffre dans la brèche au sein de sa collection « Junior » (dès 8 ans). Moi Elvis (deux tomes) de Bono Bidari, journal d’un écolier turbulent, reprend un peu le principe du Journal d’un dégonflé ou de Tom Gates (tous deux publiés au Seuil), mais pour les plus jeunes. Alternance de dessins avec bulles et de textes, et racontées à la première personne, ces histoires ont la faveur des enfants grâce à leur humour et à la possibilité d’identification au personnage, sorte de caricature de l’enfant ou de l’adolescent moderne. Dans le même style, on trouve aussi la très sympathique série Kévin et les extraterrestres publiée au Père Castor. Cependant, la série chez Hachette qui va le plus au bout du principe de partage entre bande dessinée et roman, c’est la nouvelle série Billy Stuart, dont deux tomes sont déjà disponibles. Billy Stuart est un petit raton-laveur dont le grand-père lui annonce un jour qu’il a trouvé le moyen de voyager dans le temps. Mais le grand-père a disparu… Voilà Billy et ses amis partis à l’aventure. Reprenant les jeux typographiques utilisés dans la série Géronimo Stilton (Albin Michel Jeunesse), l’épopée de Billy Stuart est également ponctuée de petits post-it informatifs de type « Le saviez-vous ? », de jeux et de devinettes. Billy Stuart est donc la lecture ludique par excellence, le genre de livre conçu pour hameçonner les enfants et leur donner l’envie de lire. Dynamique et amusant, en ce sens, c’est une réussite ! La bande dessinée jeunesse, à l’instar de la bande dessinée adulte, est donc en pleine mutation. Les séries traditionnelles côtoient maintenant de nouvelles façons de lire de la bande dessinée. Les codes explosent, laissant la place à une plus grande liberté pour les auteurs et pour les lecteurs. Il n’y a plus une seule manière de faire de la bande dessinée, mais une multitude. Les frontières entre les genres deviennent poreuses : l’art graphique et l’art narratif se mélangent, la fiction rencontre le documentaire, le jeu se mêle au roman. L’objectif, pourtant, ne change pas et ne changera jamais : donner aux enfants le goût de lire. Et ce joyeux mélange y contribue fortement !

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