Littérature étrangère

Adam Ross

Mr. Peanut

  • Adam Ross
    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Baptiste Dupin
    10/18
    01/09/2011
    508 p., 19.90 €
  • Lu & conseillé par
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Chronique de

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Alice Pepin est morte. David, son mari qui l’aimait plus que tout, l’a-t-il tuée ? Les deux enquêteurs chargés de l’affaire doivent démêler le vrai du faux dans ce couple hors normes, tout en se débattant dans la tourmente de leurs propres vies conjugales… Un roman labyrinthique sur le couple et ses méandres. Grisant !

PAGE : Comment avez-vous construit Mr. Peanut ? L’originalité de la structure nous pousse à tourner les pages sans relâche…

Adam Ross : Le défi était justement pour moi d’écrire un récit qui puisse avoir une vraie force narrative. En même temps, je voulais donner le reflet de la complexité qu’il peut y avoir dans un mariage. L’idée était de reproduire la structure des dessins de Escher. Quand on regarde ses tableaux, il y a quelque chose de passionnant dans le changement de perspective : on est en train de regarder un détail du dessin, et ça devient autre chose, comme par exemple le sol qui devient le plafond… J’ai cherché à rendre cet effet au niveau du roman, pour que les perspectives changent constamment. Je voulais que ça devienne presque vertigineux. Je me suis aussi inspiré de la structure des films d’Hitchcock : l’intrigue y est très forte, mais en regardant de plus près, on voit la complexité de ce qui gravite autour du nœud de l’intrigue, c’est cette construction consciente et très réfléchie qui m’intéressait pour mon roman. C’est ce qui donne ce côté divertissant et complexe à la fois.

 

P. : En démarrant le roman par la mort d’Alice Pepin, vous brouillez les pistes d’emblée : le lecteur s’attend à lire un roman à suspense, voire un roman policier. Or, on ne peut le réduire à cela. Certes, il y a l’enquête autour de la mort d’Alice, mais plus on avance, plus le roman prend une autre tournure, la psychologie des personnages s’affine, et l’on découvre un véritable roman à tiroirs autour de trois couples.

A. R. : C’est là encore l’influence des films d’Hitchcock : dans Mr. Peanut , la mort d’Alice est l’élément qui sert à amorcer l’histoire, comme le « Mac Guffin » dans les films d’Hitchcock, mais il permet aussi de « manipuler » le lecteur. Plus on avance, moins cet élément initial a d’importance. Cela m’a permis de commencer le roman de manière puissante. Mais en avançant, on comprend que ce sont les relations entre les couples qui sont au centre.

 

P. : Vous dressez le portrait sans concessions de trois couples, trois mariages qui se rejoignent en un point commun et qui finissent par se confondre en une même idée qui est la violence des sentiments, ce paradoxe entre la force de l’amour et la difficulté de vivre en couple. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces trois couples ?

A. R. : C’est ce paradoxe que je voulais montrer à travers l’histoire de ces trois mariages. Il y a quelque chose de réconfortant dans le mécanisme de répétition de la vie d’un couple. Les habitudes donnent une certaine assurance. Mais ce confort peut tout aussi bien devenir répugnant, c’est tout le paradoxe du mariage moderne : l’oscillation constante entre une certaine dépendance et le désir de liberté. C’est un mystère qui me fascine, l’idée que même si l’on est heureux en couple, on ne peut s’empêcher de rêver d’être libéré de l’autre. C’est ce que je voulais dessiner à travers les personnages de David Pepin et des enquêteurs Sheppard et Hastroll. J’ai fait de nombreuses recherches sur l’affaire du Dr. Sam Sheppard, accusé à tort du meurtre de sa femme dans les années 1950, avant d’être innocenté. J’ai également pris le temps de développer les personnages de David et Alice Pepin. Je suis parti de l’idée que l’on regarde sans cesse les couples autour de nous dans le but d’analyser son propre couple, et d’y puiser des solutions. C’est ce qui se passe pour nos trois couples. J’ai essayé de mêler le côté divertissant du roman à une dimension plus morale, une réflexion sur les pensées négatives que l’on peut avoir dans un couple. L’idée conductrice est que l’envie de tuer l’autre peut exister à certains moments. Mais cela ne m’a pas empêché de m’amuser en écrivant Mr. Peanut , et j’espère que les lecteurs y verront aussi cette dimension. Samuel Beckett disait que « rien n’est plus drôle que le malheur » … Le plus grand cauchemar dans un couple, c’est de se sentir seul. Dans le roman, c’est cette peur de la solitude qui amène les personnages à agir de manière totalement désespérée, à travers des actes de violence envers l’autre ou envers eux-mêmes. L’histoire de Sam Sheppard est très remarquable de ce point de vue : même s’il était innocent, il avait rêvé du meurtre de sa femme.

 

P. : Comment êtes-vous parvenu à sortir de Mr. Peanut et à vous détacher de personnages aussi forts ?

A. R. : Pendant que j’écrivais Mr. Peanut , j’ai aussi écrit un recueil de nouvelles beaucoup plus optimiste ( Ladies and Gentlemen , paru aux États-Unis) ! Cela m’a aidé à faire des pauses pendant l’écriture du roman, qui était très prenant et me demandait beaucoup d’énergie. Certains personnages me manquent, surtout Sam Sheppard.

 

P. : Vous nous avez parlé de votre intérêt pour Hitchcock, mais on sent également l’influence d’autres univers cinématographiques, comme ceux de David Lynch, Cronenberg…

A. R. : Plusieurs producteurs ont manifesté de l’intérêt pour Mr. Peanut et réfléchissent à une adaptation du roman. Le défi est de trouver comment rendre à l’écran le côté labyrinthique de l’histoire.

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