Essais

Jean-Pierre Dupuy

L’Avenir de l’économie

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photo libraire

Chronique de Raphaël Rouillé

Bibliothèque/Médiathèque de Saint-Christol-lez-Alès (Saint-Christol-lez-Alès)

Devenue, en l’espace de quelques dizaines d’années, le système nerveux de toute notre société au détriment de la politique, l’économie, d’autant plus en temps de crise, semble le principal centre d’intérêt des populations comme des dirigeants. Si bien que plusieurs ouvrages s’interrogent sur cette domination névralgique, de même que sur son avenir.

Entourés d’experts, de conseillers et de toute une armada d’économistes, les hommes politiques paraissent aujourd’hui s’en remettre aux décisions des prophètes de l’économie. Obsédés par les courbes, les graphiques, les prévisions, on assiste, selon Jean-Pierre Dupuy, à la « capitulation abjecte du politique devant l’économique » , ce qui, pour le philosophe, constitue une régression par rapport aux valeurs fondamentales de la modernité démocratique. Dans son essai intitulé L’Avenir de l’économie , il s’intéresse à ce qu’il nomme « l’économystification » , c’est-à-dire la place exorbitante qu’a pris l’économie, devenant « notre religieux et notre politique » . Laissée vacante par le retrait du sacré, cette place contient elle aussi son lot de violences engendrées par le système économique. Son emprise est telle que les ravages sont inéluctables. Pour les canaliser, Jean-Pierre Dupuy axe sa réflexion sur les voies d’amélioration possibles, sur l’avenir de cette économie névrosée qui contamine son entourage en même temps qu’elle l’absorbe. L’économie devrait ainsi s’articuler « à un domaine séparé et même transcendant par rapport à elle » , donc indépendamment du système politique, afin de retrouver une fonction éthique, morale et politique non encastrée dans l’ensemble des branches de la société. L’économie « a failli » nous dit-il, mais personne ne semble vouloir expliquer les causes de cet accident fracassant. Par des voies extérieures, en sortant de la discipline par la philosophie ou par le biais des autres sciences sociales, il semble possible de comprendre comment l’économie a créé des besoins matériels et une envie de richesse avec toutes les vertus qu’on lui prête et la convoitise qui l’accompagne. Mais n’est-il pas trop tard ? Peut-on guérir de cette obsession économique tant les envies sont grandes, tant ce jeu de dupes est savamment ficelé ?

Dans leur étude sur Les Nouvelles Classes moyennes , Dominique Goux et Éric Maurin montrent le rôle inédit d’arbitre de cette classe sociale et ses rapports avec l’économie. Il s’avère qu’avec la compétition sociale de plus en plus dure, la résistance de la classe moyenne s’accompagne de tensions psychologiques croissantes. Atouts précaires, situation incertaine, peur de déchoir : coincée entre le désir de progresser et la peur de la régression, la classe moyenne résiste au déclassement en dépit des obstacles mais tout en se nourrissant de ressentiment en raison, principalement, des politiques fiscales qui sont menées et de leur position intermédiaire qui les tiraille entre le haut et le bas de l’échelle. à travers cette étude sociologique, on observe tout le poids de l’économie sur le fonctionnement d’une classe et comment cette emprise économique peut dicter des modes de conduite, de pensée et des choix politiques.

Rassemblés sous le titre Peut-on sauver l’Europe ? les articles de Thomas Piketty, parus entre septembre 2004 et janvier 2012 dans Libération , permettent de mesurer l’évolution économique et fiscale de ces huit dernières années. Déjà auteur en 2011 du livre à succès intitulé Pour une révolution fiscale aux éditions du Seuil, Piketty montre ici le rôle qu’ont joué les banques centrales pour éviter l’effondrement de l’économie mondiale ou la différence d’un pays à l’autre dans le traitement de la crise. Il aborde la réforme des retraites, la justice fiscale, l’avenir des universités, la place de l’Union européenne ou l’abaissement des états face aux marchés. Ce dernier point renforce particulièrement les propos du philosophe Jean-Pierre Dupuy sur la régression du politique face à l’économique. Il montre aussi les failles du capitalisme, particulièrement fragile, volatile et imprévisible et le manque de contrôle ou de régulation du système économique et financier. C’est toute l’opacité de l’économie qui surgit au fil des articles, son rôle pervers et le décalage croissant entre les attentes citoyennes et les chantiers des États. Déconstruisant le modèle néolibéral, ce recueil insiste sur les inégalités et les paradoxes qu’engendrent les politiques menées. Avec Changer d’économie ! Nos propositions pour 2012 , les économistes atterrés reviennent en très grande forme et suggèrent des alternatives à l’économie actuelle. Après leur petit Manifeste en 2010 et 20 ans d’aveuglement : l’Europe au bord du gouffre en 2011, le collectif propose des réformes significatives comme barrage à la pensée unique et comme voie de désarmement des marchés financiers. Restaurer la capacité des pays à taxer leurs banques, leurs organismes financiers, leurs multinationales et les plus riches de leurs ménages, retrouver la capacité, pour un pays, de pratiquer des politiques budgétaires autonomes, refuser une globalisation au service de la finance ou concevoir un nouveau type de développement humain, « orienté vers la qualité sociale et écologique de la production » : en onze chapitres rédigés par plusieurs intervenants, les Économistes atterrés proposent de vraies solutions pour une nouvelle politique économique, peut-être plus proche des hommes et moins aliénante pour les populations.

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