Polar

William Gay

La Demeure éternelle

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Après La Mort au crépuscule publié en 2010 et Grand Prix de Littérature Policière la même année, la publication du deuxième roman de William Gay (en réalité son premier) prend une résonance toute particulière. La Demeure éternelle… pour un auteur qui nous a quittés en février dernier.

Dès les premières lignes, on pense à un vieux blues et à cette légende qui court sur Robert L. Johnson et affirme qu’il aurait vendu son âme au diable afin d’acquérir une plus grande dextérité à la guitare et devenir la légende du blues. Du diable il en est question, mais ne vous attendez pas à un roman d’horreur. Pas de surnaturel ici, mais un mal insidieux, souterrain. William Gay gratte sous la surface des êtres jusqu’à ce que l’argile se craquelle. Sa prose sèche et poétique fait fissurer la terre jusqu’à ce qu’elle saigne abondamment. Une vie de labeur, son poids pèse dès les premières pages. Nous sommes en 1933, Thomas Hovington traverse sa cour, quand la terre se fissure et se met à cracher du soufre. Cloué au lit par la maladie, il ne peut empêcher Dallas Hardin, un homme sorti de nulle part, de s’installer chez lui, de prendre sa femme et son commerce d’alcool de contrebande et d’exercer sa domination sur sa fille Amber Rose. Nathan Winer, un voisin, tente de s’interposer et de mettre fin au séjour de ce parasite, mais il est tué et son cadavre précipité dans un gouffre. Dix ans passent. Âgé de 17 ans, le fils de Winer, prénommé Nathan, est à la recherche d’un emploi. Sa route croise celle de Grande-Gueule Hodges, de Hardin et de Guillaume Tell Oliver, un vieil homme sage au passé trouble qui le met en garde contre celui qui apporte le malheur. William Gay raconte cette histoire avec la voix traînante du Sud, celle de William Faulkner ou de Flannery O’ Connor. On pense également au Ron Rash d’Un pied au paradis, et l’accent se pare d’une violence soudaine. Beaucoup de sang répandu sur une terre avide de le boire. Et cette brume de violence et de mal qui s’évapore dans l’atmosphère, contaminant les personnages et leur vie. Le style de William Gay, c’est une beauté sévère, une lande (une langue !) de terre aride parsemée d’arbres moribonds. La même exigence avec ses personnages. Nathan Winer est une fontaine de jouvence prête à éclater, un individu maladroit et plein d’innocence. Guillaume Tell Oliver, vieillard merveilleusement mélancolique est plein de regrets qui vous transpercent le cœur. Grande-Gueule Hodges est le contrepoint comique de l’ivrogne du village. Dallas Hardin, une incarnation fascinante du mal. Et puis il y a Amber Rose... Mais la force de l’auteur réside dans la façon dont il met en relation ses personnages, les différentes couches de sédiments qui les composent. Le ciment des relations qui s’effrite, se craquelle, s’effondre. Sans cesse à la lisière, William Gay pousse ses personnages dans leurs ultimes retranchements, il pousse, il cogne, il gratte sous la surface et révèle une lumière qui éclaire jusqu’au paysage mortifère qui les entoure. La Demeure éternelle est un voyage dans une Amérique en crise, pauvre et ignorante, le récit de la lutte éternelle du bien contre le mal, une Bible dans une main, un fusil dans l’autre. C’est surtout une écriture précise, poétique, qui réussit à dissiper les vapeurs de soufre et de fiel, et fait rejaillir un souffle de vie là où il n’y en avait plus.

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