Littérature française

Harold Cobert

Jim

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photo libraire

Chronique de Béatrice Putégnat

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Harold Cobert plonge dans l’esprit torturé de Jim Morrison quelques jours avant sa mort. Greil Marcus dissèque les chansons des Doors : live ou enregistrement, mise en perspective esthétique et sociale… Deux démarches différentes qui raviront les fans de l’éphèbe crépusculaire et de son groupe mythique !

Ex-fan des sixties, ressortez vos vinyles ! Greil Marcus, le critique (lui-même culte) de la culture pop-rock, passe à la moulinette de son oreille affûtée les chansons des Doors. Mais pourquoi sortir aujourd’hui un livre sur un groupe qui a explosé en plein vol, en 1971, après la mort de son leader charismatique ? Parce que les « tubes » du moment sont presque devenus des classiques. Ils ont acquis au fil des années une profondeur, une audience qui ne faiblit pas. Aux États-Unis, les stations de radio les programment entre « Bad Romance » de Lady Gaga et « Hey Soul Sister » de Train. Alors plus qu’une histoire du groupe ou qu’une biographie, Greil Marcus décrypte le phénomène musical en s’attardant sur les chansons. « Roadhouse Blues », « L.A. Woman », « Light my fire »… plus de quinze morceaux sont analysés et mis en perspectives dans une prose elle-même inspirée et luxuriante. Greil Marcus connaît ses années 1960 sur le bout des doigts et nous fait partager ses émois acoustiques et une érudition à la fois expérimentale et critique. Éblouissant ! Il restitue l’esprit d’une époque : de la guerre du Vietnam aux assassinats de Charles Manson, en passant par la lecture de Thomas Pynchon, le pop-art et des plongées dans le blues et la soul… Plus de quarante ans après le décès du chanteur, Greil Marcus dépoussière les vieux clichés et fait souffler un vent de liberté sur les sillons de la nostalgie ! Il nous ouvre les portes de la perception… ce qui ne déplairait pas à Aldous Huxley et à Jim Morrison. Même si, « déjà en 68, les Doors interprétaient non pas la liberté mais sa disparition » ! Dans un texte halluciné, cru, Harold Cobert mue et rentre dans la peau du chanteur du groupe. Pour se draper dans le personnage, il entremêle bribes d’interviews et citations réelles à la trame romancée. Recréant ainsi les trous noirs des derniers jours de Jim Morrison et alternant le On/Off au fil des chapitres. Après L’Entrevue de Saint-Cloud (Héloïse d’Ormesson) mettant en scène Mirabeau et Marie-Antoinette, il s’attaque donc à un autre monstre sacré. Comme le serpent qui ondule et qui le fascinait tant, l’écriture se contorsionne et donne à voir et à entendre un Jim Morrison bouffi, alcoolique, accablé par son procès de Miami. Il a rejoint Pamela Courson à Paris pour tenter, une fois de plus, de prendre un nouveau départ avec elle. Pour tenter de prendre de la distance avec les autres membres du groupe, avec la musique. Pour, peut-être, faire advenir les mots qu’il sent fortement en lui, qui se bousculent dans sa tête. Pour faire œuvre de poésie. Le roi-lézard est à bout de souffle, hanté par des démons attisés par l’alcool et les excès. Avant lui, Robert Johnson, Brian Jones, Jimi Hendricks et Janis Joplin sont morts… à 27 ans. Fatalité noire et sinistre d’étoiles montées au firmament à la vitesse de l’éclair et qui éclatent en plein vol. Jim vit ses derniers instants à Paris. Le mystère plane encore sur les causes réelles de sa mort : suicide, overdose ? Comme Rimbaud, Jim Morrison incarne l’artiste maudit. Forever !

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