Essais

Tzvetan Todorov

Germaine Tillion, la pensée en action

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Chronique de Jérémie Banel

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Ils sont quatre, deux hommes et deux femmes, tous résistants, qui viennent d’entrer au Panthéon, Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion et Jean Zay. L’occasion de revenir sur leurs parcours et sur la résistance en général.

Parfois méconnus, ils incarnent chacun à leur façon un versant de la Résistance et, au-delà, ils embrassent tous le xxe siècle. Les éditions Textuel leurs consacrent un livre, constitué de quatre biographies, pour mieux les connaître. On ne peut en effet que déplorer leur relatif anonymat, particulièrement à la lumière de leurs actions avant, pendant et après la guerre, que Mona Ozouf, dans sa belle préface, rassemble sous le trait commun du courage. On rajoutera également la cohérence qu’ils incarnent et la fidélité à des idéaux humanistes. Jean Zay et Pierre Brossolette illustrent une certaine idée de la République, sociale et émancipatrice, au service de laquelle ils œuvrèrent politiquement dans les années 1930, entre autres au sein du gouvernement du Front Populaire, avant de perdre la vie sous les balles de la Milice pour l’un, Jean Zay, « juif, protestant, franc-maçon et métèque », ou défenestré pour échapper à la torture pour l’autre, Pierre Brossolette, unificateur des différents mouvements de la Résistance. Geneviève de Gaulle Anthonioz, de son côté, connaîtra la déportation à Ravensbrück dont elle reviendra saine et sauve, et passera le reste de sa vie à œuvrer en faveur des plus faibles au sein, notamment, de ATD Quart Monde. Sa révolte est née en découvrant les bidonvilles autour de Paris. Germaine Tillion fut elle aussi déportée à Ravensbrück. Entrée en clandestinité dès l’été 1940 au sein du réseau du Musée de l’Homme, elle est l’une des premières résistantes. Elle aussi se consacrera à la défense des plus faibles et luttera contre la « clochardisation » de la population algérienne avant l’indépendance, mais également contre tous les camps qui subsistent après 1945, contre la torture dans l’Algérie en guerre, etc. C’est ce que rappelle son biographe Tzvetan Todorov (président de l’association Germaine Tillion) dans cet ouvrage, ainsi que dans le livre CD Germaine Tillion, la pensée en action (Textuel) paru dans la collection « La voix au chapitre ». Le dispositif original de cette collection, composée d’une sélection d’entretiens audio et d’un texte de mise en perspective, permet de découvrir son travail d’ethnologue en Algérie et l’originalité des concepts et raisonnements qu’elle y développera. Elle aborde ses deux sujets avec la simplicité et la malice qui la caractérisent. C’est là un des mérites de ce titre : faire entendre cette personnalité unique et rayonnante, si modeste quand elle revient sur sa vie, en tant que scientifique ou en tant que citoyenne. Le meilleur résumé de ce double ancrage étant le sous-titre du coffret : La pensée en action. Deux résistantes parmi d’autres, cependant méconnues en raison du peu d’importance accordée par la Résistance féminine, pourtant essentielle dans le combat contre le nazisme. Une lacune mémorielle et historiographique qu’entend combler Corinna von List, historienne allemande dont les éditions Alma rééditent fort opportunément le livre Résistantes. Il est consacré à toutes celles sans qui rien n’aurait été possible et qui ont, autant que les hommes, mis leurs vies en péril face à la barbarie nazie. Au travers de portraits, elle dresse ainsi une typologie des tâches et fonctions remplies par les femmes, soit en raison de leurs compétences professionnelles (secrétariat par exemple) ou de leur supposée discrétion (une femme qui fait des courses éveille moins l’attention qu’un homme). À une exception, aucune d’entre elles ne dirigera de réseau. Pourtant, leur apport est crucial, car il a permis aux combattants de livrer bataille, aux états-majors d’être informés, aux évadés de se cacher et de bénéficier de faux papiers. Le livre contient également de riches annexes, dont des statistiques prouvant qu’en terme de danger, les femmes étaient au moins autant exposées que les hommes, sans bénéficier de la même reconnaissance. Puisse cette entreprise de réhabilitation rigoureuse rappeler à tous qu’en terme de courage (on y revient), elles n’eurent, là non plus, rien à envier aux hommes. Notons également que les travaux de Corinna von List ont été à la base, suite aux informations apportées par Anise Postel-Vinay, résistante elle-même, des recherches de la journaliste Marie-Laure Le Foulon sur le cas de Mary Lindell et les zones d’ombre qui entourent son parcours d’héroïne de la Résistance, publiées sous le titre Lady Mensonges (Alma).

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