Essais

Gilles Kepel

Banlieue de la République

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photo libraire

Chronique de Pauline Murris

Pigiste ()

C’est à Montfermeil que Victor Hugo situe l’auberge des Thénardier dans Les Misérables. Qui sont les « misérables » d’aujourd’hui ? Immersion à Clichy-Montfermeil, emblème des symptômes sociaux de la France.

Vingt-quatre ans après la parution de son ouvrage pionnier, Les Banlieues de l’Islam, le politologue Gilles Kepel, accompagné de cinq autres chercheurs, réalise une enquête de terrain inédite auprès de 100 habitants, actuels ou anciens, de Clichy-Montfermeil. Banlieue de la République reproduit et analyse des entretiens semi-directifs, conduits en français, mais aussi en arabe, en turc, en cambodgien, en anglais, en peul, en soninké, qui se sont déroulés du 17 août au 5 novembre 2010. L’ouvrage fait le pari de rendre intelligibles ces quartiers, en observant au quotidien comment se réalise (ou ne se réalise pas) la promesse républicaine. Si la banlieue de Clichy-Montfermeil incarne le grand succès de la politique urbaine française – puisqu’elle ne semble pas être l’objet d’un désintérêt des politiques de gauche comme de droite –, elle demeure toutefois le lieu privilégié d’exacerbation de la crise de l’intégration, qui s’exprima notamment par les émeutes de 2005. « Clichy et Montfermeil, c’est la France », clame Gilles Kepel. L’auteur cherche à déconstruire le concept marginalisant de « banlieue » en s’efforçant de replacer ce dernier au cœur de la société de demain. Il interroge la manière dont s’articulent les différentes composantes (logement, rénovation urbaine, éducation, emploi, sécurité) qui permettent de « faire société ». Grille d’intelligibilité sociale, ce rapport questionne les modalités de construction d’un lien social dans un paysage aussi contrasté. Les ambitieux efforts portés à l’éducation et à la rénovation urbaine afin de réhumaniser des lieux qui ont perdu tout attrait, sont présentés comme des enjeux déterminant pour sauver les banlieues de l’abandon. Par des détours historiques pertinents et une fine analyse des entretiens recueillis, l’auteur nous livre un rapport dérangeant, qui bouleverse nos représentations traditionnelles. C’est de cette enquête que s’inspire Quatre-vingt-treize, essai du même auteur, qui traite plus exclusivement des questions de l’islam en France. Partant de l’islamisme, Quatre-vingt-treize participe d’une réflexion d’ensemble sur la France et son devenir, lequel n’est plus dissociable de celui de ses banlieues.